Loi Renseignement : Le Medef peine à trouver une position commune

Petite rétrospective concernant la Loi sur le renseignement, dans L’Usine Digitale. Extrait :

Alors que la loi sur le Renseignement sera soumise mardi 5 mai au vote de l’Assemblée nationale, le Medef ne s’est pas fait de religion sur son opportunité. Le sujet divise les fédérations et les sensibilités. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président de l’organisation patronale nous confie tout de même son sentiment personnel.

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L’une des fédérations du Medef, le Syntec numérique, est vent debout contre le projet. Elle sonnait l’alerte dès le 18 mars dernier dans un communiqué de presse intitulé « Projet de loi renseignement : vers un Patriot act à la française ? ». Depuis, son président, Guy Mamou-Mani, se montre des plus virulents. Le 14 avril, il déclarait aux Echos : « Les entreprises que je représente n’ont pas vocation à devenir des auxiliaires de police« .

Les hébergeurs, sous la bannière #Nipigeons, Niespions, ont lancé une pétition contre la loi et menacent de délocaliser leur datacenters. Ils ont convaincus un certain nombre d’éditeurs, de start-up, de FAI. Stéphane Richard, le président d’Orange, plus prudent compte-tenu de sa tutelle, a estimé que les dispositifs d’analyse automatique de données « doivent rester techniquement sous le contrôle des opérateurs ». Il plaide pour « plus de dialogue avec le gouvernement. »

Retrouver le texte intégral dans L’Usine Digitale, ainsi que les autres articles du dossier sur la loi, dans le menu de gauche.

Les impacts de cette nouvelle  Loi sur le renseignement seront évoqués lors de l’Université d’été les 22 é& 23 juin prochains.

Big Data : quel impact sur le marketing et la relation client ?

Depuis des décennies, les marketeurs analysent les données clients à leur disposition, avec l’objectif de vendre plus et, éventuellement, mieux, c’est-à-dire pendant plus longtemps dans une logique de fidélisation. L’émergence récente du Big Data est venue décupler leur capacité d’analyse et, partant, leurs possibilités de réaction, voire d’anticipation des comportements de leurs clients. De fait, à l’instar de celle de Gartner, la plupart des études estiment qu’entre 50% et 60% des projets Big Data sont liés à l’expérience client au sens large.
Ainsi, en collectant des données lorsque ses clients sont exposés à ses campagnes de communication, achètent ses produits ou souscrivent à ses services, naviguent sur ses sites Web ou interagissent avec elle, une entreprise est à même de mieux les connaître. Elle peut ainsi adapter son offre, sa stratégie et ses outils de vente et de relation client, afin de faire vivre à ses clients une expérience en adéquation avec leurs attentes.
Une fois mise en place la fameuse vision à 360° de ses clients, l’entreprise est susceptible d’obtenir de « nombreux bénéfices marketing », « utiles pour les consommateurs » et « générant de la valeur », comme le montre l’infographie de l’agence Camp de Bases.

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Selon notre analyse, reposant sur une étude Markess, trois grands types d’objectifs président aux actions des directions marketing en matière de Big Data:

  • Vendre plus, notamment en ligne, en personnalisant le parcours digital des clients, de leur navigation sur les sites aux messages publicitaires qui leur sont présentés, pour leur proposer les offres les plus adaptées grâce à une segmentation et à un ciblage plus fins ;
  • Vendre mieux en simplifiant la relation client, grâce à une stratégie adaptée à chaque canal d’interaction (téléphone, e-mail, SMS, Web, réseaux sociaux) et à une optimisation des parcours inter canaux ;
  • Anticiper, en analysant tendances lourdes et signaux faibles pour se préparer aux évolutions comportementales des clients, de façon collective avec, par exemple, de nouveaux produits ou services, ou de façon individualisée, avec notamment la prévention des risques de rupture de la relation client.

A des degrés divers, la majeure partie des secteurs d’activités sont susceptibles de recourir au Big Data pour améliorer l’expérience de leurs clients, mais les plus avancés restent le e-commerce et la grande distribution, les opérateurs de services et le secteur financier.

Amazon, premier de la classe en Big Data

Les entreprises nord-américaines, et en particulier les pure players du Web, ont indéniablement une bonne longueur d’avance en matière d’exploitation commerciale du Big Data. Amazon s’est très tôt positionné en pionnier, avec son service de recommandations personnalisées, système de frappes chirurgicales qui vient se substituer avec succès au bazooka du couponing massif. Le géant du e-commerce peut s’appuyer sur une base de plus de 250 millions de clients, dont il cerne les goûts de plus en plus précisément en compilant des données structurées (déclaratif et navigation) et non structurées (contenus qu’ils stockent dans ses services de cloud). Amazon est ainsi capable de fournir à ses clients, en ligne ou via des campagnes d’e-mailing, des conseils personnalisés en temps réel susceptibles de se transformer en autant de commandes. La firme de Jeff Bezos a d’ailleurs une telle confiance dans la qualité de sa connaissance client qu’elle a déposé, début 2014, un brevet pour un nouveau système de livraison fondé sur l’anticipation des achats ! Ce dernier repose sur un algorithme, élaboré d’après les achats précédents du client, sa liste de souhaits, sa navigation sur le site et les produits qu’il a mis dans son panier sans les acheter.

Par ailleurs, non content de s’appuyer sur sa connaissance client pour accroître ses ventes, Amazon réfléchit désormais à la meilleure façon de monétiser de façon directe la mine d’or que représente ses données très qualifiées. Annoncé à l’été 2014, le service de publicité en ligne Amazon Sponsored Links n’a pas encore officiellement vu le jour, mais il ne devrait pas tarder à venir concurrencer Google Adsense.

En France, on a des idées… mais on peine encore à les concrétiser

Si 81% des dirigeants marketing interrogés dans le cadre de l’étude menée en France fin 2014 par Fullsix et Limelight sont « convaincus de la grande importance » du Big Data, seuls 18% ont déjà lancé des projets et 6% les ont vus aboutir…

Toutefois, si les entreprises françaises ne versent pas dans une stratégie tout-Big Data à la Amazon, elles ne négligent pas ses apports pour répondre à des problématiques plus ponctuelles.

La grande distribution s’affiche en pionnière, avec des enseignes qui cherchent à collecter autant d’informations que possible concernant leurs clients, en magasin avec la fameuse « digitalisation » du point de vente, mais aussi sur le Web et en mobilité. On retrouve l’idée du « vendre plus » dans la stratégie de la Fnac, qui optimise le ciblage de ses campagnes d’e-mailing en s’appuyant sur un modèle prédictif mettant à profit les informations recueillies concernant ses 20 millions de clients. Mais la dimension de l’anticipation est également au cœur de l’action des distributeurs, à l’image d’Auchan, qui s’est doté d’une solution d’analyse sémantique décortiquant en temps réel les verbatim clients déposés sur ses sites Web et ses comptes Facebook et Twitter. En traitant ce volume important de données non structurées, le distributeur extrait rapidement des informations stratégiques pour y répondre par des actions opérationnelles ciblées.

Voyages-SNCF mise sur le « vendre mieux », notamment avec des applications mobiles qui permettent de personnaliser l’expérience des usagers en facilitant leurs voyages. En fonction de leurs profils, ils se voient relayer en temps réel des informations importantes et proposer des services sur mesure.

Les opérateurs télécoms investissent tout particulièrement dans l’analyse prédictive des données, pour faire baisser leurs taux de churn. Ainsi, en surveillant la navigation des internautes sur ses sites Web, SFR réussirait, selon des chiffres récemment dévoilés, à repérer plus de 80% des candidats au départ, les contactant avant qu’ils aient pris leur décision… semble-t-il avec succès, puisque l’opérateur réussirait à en convaincre 3/4 de lui rester fidèle.

Enfin, le Big Data a également beaucoup à apporter aux entreprises du secteur financier. En permettant aux banques d’analyser en quelques minutes des masses de données qui nécessitaient auparavant plusieurs jours de décryptage, les technologies Big Data leur ouvrent la perspective d’une relation client plus immédiate et plus personnalisée. Le secteur de l’assurance peut s’appuyer sur les modèles prédictifs associés au Big Data, pour anticiper les risques (notamment liés au climat), ou encore développer de nouveaux business models, en matière d’assurance santé ou d’assurance automobile, à l’instar des offres « pay-as-you-drive » notamment mises en place par Direct Assurance.

Mais, les usages du Big Data ne sont pas tous liés au marketing et à la relation client… La suite au prochain numéro.

Des technologies de l’empathie… aux technologies de la manipulation

Bientôt, non seulement nos systèmes techniques seront dotés de personnalités, mais il sauront aussi prendre en compte la personnalité de ceux avec lesquels nous interagissons, rapporte Aviva Rutkin (blog, @realavivahr) pour le New Scientist. Par exemple, en nous aidant à être plus empathiques dans nos manières de communiquer…
Demain, le « correcteur comportemental »
C’est ce que propose dès à présent Crystal Knows qui présente son application comme « la meilleure amélioration apportée à l’e-mail depuis le correcteur orthographique » et qu’on pourrait qualifier de « correcteur comportemental ».

Lire la suite sur le blog d’InternetActu

Cet article illustre de manière très concrète un type d’utilisation qui peut être faite des données personnelles que nous éparpillons sur le net, consciemment ou non, et démontre l’exactitude des interrogations d’un philosophe comme Eric Sadin. La révolution du BigData est un bouleversement plus fondamental de nos sociétés que la révolution  industrielle, car elle a une influence puissante sur nos comportements et notre manière de penser.

Saurons-nous encore penser par nous même lorsque tous les éléments de nos vies seront numérisés ? Serons-nous encore des humains… ou des marionnettes manipulées par des algorithmes ?

Une des questions que nous nous poserons lors de l’Université d’été de la CFE-CGC Orange, les 22 & 23 juin prochains.

Le gouvernement recule sur le contrôle des données personnelles des chômeurs

Le gouvernement a annoncé ce mardi avoir retiré un amendement au projet de loi sur le dialogue social visant à permettre à certains agents de Pôle emploi d’accéder aux données personnelles (comptes bancaires, factures de téléphone…) des chômeurs suspectés de fraudes. Déposé vendredi par le gouvernement, l’amendement «va être retiré», car «le ministre s’est rendu compte que ça n’avait pas été suffisamment concerté», a indiqué l’entourage du ministre du Travail, François Rebsamen. «Il s’agissait de donner à Pôle emploi les mêmes moyens de contrôle que les Urssaf», a expliqué cette source, précisant que le ministre ne souhaitait pas que cet amendement soit «interprété comme une volonté de stigmatiser les chômeurs».

L’article complet dans Libération – 26 mai 2015

La conclusion de l’article est particulièrement intéressante :

Pôle emploi a détecté 89 millions d’euros de fraude sur les neuf premiers mois de 2014, selon le dernier bilan disponible. En 2013, 100 millions d’euros de fraude avaient été détectés, un montant qui reste faible par rapport aux 30 milliards d’euros d’allocations chômage versés cette année là. Et par rapport, plus encore, à la fraude fiscale, estimée à 60 milliards d’euros au minimum.

Le fait que le Ministère ait souhaité mettre en œuvre une telle mesure reste particulièrement inquiétant, non seulement en termes de stigmatisation des demandeurs d’emplois, ce qui est vraiment un comble compte tenu du contexte actuel, mais aussi par la volonté d’étendre toujours plus le contrôle de l’État sur les citoyens.

Là où il faut modérer le propos, c’est qu’au moins il est clairement annoncé… alors que les objets connectés, applications ou sites web qui traquent vos données le font rarement de manière explicite. Et ce qui ouvre une lueur d’espoir, c’est qu’on peut faire reculer le gouvernement sur de telles décisions. Il faut donc se mobiliser sur la préservation de nos données personnelles, de toute nature et qui que ce soit qui les collecte.

Notre Université d’été 2015 permettra de mieux comprendre ce qui est à l’œuvre. Vous pouvez aussi suivre la série commencée sur ce blog sur le « Big Data ».

Big Data : au commencement était la donnée

Et si on partait du point de départ ? Les données sont en effet ce qui donne un sens à la notion même de Big Data – ou mégadonnées, selon les recommandations linguistiques de la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France.

Selon la définition, faisant désormais autorité, énoncée par Gartner en 2012, les données du Big Data présentent trois caractéristiques majeures, que les nouvelles technologies de traitement de l’information permettent de prendre en compte : leur Volume, leur Variété et leur Vélocité. La littérature marketing y rajoute parfois 2 V complémentaires, la Véracité (la qualité et la fiabilité des données) et la Valeur (leur caractère monétisable).

De fait, depuis le début de l’ère numérique, le Volume de données existantes a connu une croissance exponentielle. Si cette notion peut être appréhendée plus aisément à travers des infographies comme celle de VoucherCloud, elle peut être résumée en quelques chiffres : il y a un peu plus de 10 ans, le trafic Internet était de l’ordre de 100Go de données échangées par seconde (soit autant qu’en un jour entier 10 ans auparavant). Aujourd’hui, nous avons dépassé les 30 000Go par seconde et nous devrions atteindre les 50 000Go d’ici à 2018. Conséquence de cette explosion des volumes, 90% des données aujourd’hui existantes datent de moins de 2 ans.

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Au-delà de l’augmentation du nombre d’utilisateurs de solutions IT et de la croissance des volumes opérationnels de données, c’est surtout la Variété de plus en plus grande des sources, liée à l’évolution des usages et des technologies de traitement de l’information, qui justifie cette croissance exponentielle. Hier, les données utilisables par les acteurs du monde socio-économique se limitaient à des informations hautement formatées. Aujourd’hui, le Big Data permet de traiter tout type de donnée, dans sa forme originelle, non structurée, multipliant ainsi les sources.
Les comportements en ligne – plus ou moins anonymes –, comme la navigation, la recherche et l’utilisation des outils de communication sont les premiers qui viennent à l’esprit. Les informations et comportements clairement identifiés sont eux aussi « trackés », à l’image de toutes les interactions en ligne avec les entreprises, telles que le remplissage de formulaires, les réactions à l’e-mailing, les objets et services achetés, les transactions financières, l’utilisation des coupons de fidélité, ou les échanges liés au SAV : tous les clients d’Amazon peuvent constater qu’aucun de leurs faits et gestes sur ses sites n’échappe au plus connu des e-commerçants. Ce qui change, c’est que toutes les entreprises s’y mettent, de façon parfois plus discrète mais pas moins intensive. N’oublions pas les réseaux sociaux, puisqu’il semblerait, selon une récente étude, que Facebook nous connaisse mieux que nos meilleurs amis. Les contenus, photos, vidéos, musique, articles de blogs, que nous créons, lisons, partageons et auxquels nous réagissons n’échappent pas non plus au Big Data. Et bien sûr, cela fonctionne aussi en mobilité, grâce à nos chers smartphones et autres tablettes, qui dévoilent par ailleurs des informations concernant notre usage des applications ainsi que nos données de géolocalisation.
C’était tout – et déjà beaucoup – jusqu’à l’émergence de l’Internet des Objets. Désormais, notre corps, « augmenté » par les « wearables » tels que les montres ou les bracelets connectés, peut révéler des informations concernant notre santé ou notre activité physique. De même, notre maison, équipée de solutions connectées relatives à la sécurité, à la gestion énergétique ou au simple confort peut en dire beaucoup sur nos habitudes, tout comme notre voiture, possiblement connectée elle aussi, au-delà du seul GPS. Nous voilà donc 100% connectés dans un environnement qui ne l’est pas moins et livre, en open data, ses propres informations, des statistiques démographiques et économiques aux données nécessaires au bon fonctionnement des services publics (transport, éducation, vie culturelle, etc.).

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Déjà évoquée dans ces colonnes, l’excellente web-série interactive Do Not Track fournit des illustrations assez édifiantes de la façon dont toutes nos données sont collectées.

Nombreuses et variées, ces données sont de plus en plus souvent exploitées en temps réel, justifiant le 3ème V, dédié à la Vélocité.

Il n’est pas étonnant que ces données en nombre infini, qui décrivent de plus en plus précisément nos comportements et leur évolution, soient désormais considérées comme le moteur principal de l’économie numérique. Le Web en témoigne d’ailleurs, filant généreusement les métaphores aurifère et pétrolifère. En offrant des opportunités d’analyse plus larges et plus fines, le Big Data ouvre de nouveaux horizons, non seulement au confort des utilisateurs, mais aussi à la prise de décision des entreprises et des organisations. Pour quels usages ? Avec quels intérêts et quels risques ? La suite au prochain numéro…

Les groupes mondiaux d’Internet

Les groupes mondiaux d’Internet from Xerfi Canal TV on Vimeo.

Cette courte vidéo résume bien les principaux enjeux des gros acteurs de l’Internet. Et même si ce n’est pas très directement exprimé dedans, c’est aussi en lien avec notre questionnement sur le Big Data et le respect de la vie privée : en effet, les caractéristiques de la publicité changent avec Internet. S’il s’agissait au départ d’affiner le profil des utilisateurs pour, comme dans le ciblage classique de la publicité média, présenter les publicités aux cibles les plus en adéquation avec les produits et services vantés, on glisse progressivement, mais de plus en plus vite, vers un ciblage personnalisé à l’extrême, où il s’agit de croiser de multiples données sur les consommateurs pour mieux manipuler leurs actes d’achat.

Ce glissement n’est pas toujours perçu par les internautes, qui se préoccupent avant tout du service rendu par les fournisseurs de services et apprécient leur gratuité apparente. Mais il transforme les internautes de citoyens souhaitant s’informer ou communiquer en purs consommateurs qu’il s’agit de canaliser vers différents actes d’achats, de manière de plus en plus sophistiquée et insidieuse, au risque d’y perdre notre libre arbitre.

A suivre dans notre Université d’été, les 22 & 23 juin prochains…

Les 4 chemins du big data : no best way

Les 4 chemins du big data : no best way – synthèse from Xerfi Canal TV on Vimeo.

Christophe Benavent, Professeur à l’Université Paris Ouest et directeur de l’Ecole Doctorale « Economie, organisations, société », propose une intéressante segmentation des usages du big data dans les modèles d’affaires.
Il fait partie des invités de l’Université d’été de la CFE-CGC les 22 & 23 juin prochains, sur le thème : « enjeux de la numérisation de nos vies sur la vie privée ».

Vous pouvez également retrouver le texte intégral de son article « Big data : no best way » au sein du dossier « Le big data & la santé numérique » de la revue Libellio.

Approuvée par l’Assemblée Nationale, la Loi Renseignement fait toujours l’unanimité… contre elle

Depuis son annonce à la mi-mars jusqu’à son approbation ce 5 mai par l’Assemblée Nationale avec une très large majorité, le projet de loi relatif au renseignement a fait l’objet de nombreux débats entre ses partisans et ses détracteurs.
Pour mémoire, ce projet, né après l’attaque de Charlie Hebdo, entend donner plus de moyens aux services de renseignement : accès direct aux « réseaux des opérateurs » (télécoms, services en ligne, hébergeurs) pour surveiller une personne suspecte, utilisation d’outils comme les « IMSI Catchers » pour intercepter les appels téléphoniques des mobiles, installation de « boîtes noires » chez les acteurs du numérique pour repérer automatiquement les comportements à risque. L’utilisation de ces dispositifs de surveillance sera contrôlée par une autorité indépendante, la Commission nationale de contrôle (CNCTR).

Une telle perspective n’a pas semblé émouvoir plus que ça le grand public. Selon un sondage CSA, près de 2/3 des Français se disaient « favorables à une limitation de leurs libertés individuelles sur Internet au nom de la lutte contre le terrorisme ». Valérie Peugeot, vice-présidente du Conseil national du numérique, explique les raisons de cette apathie par un manque de sensibilisation (« il n’y a rien de plus difficile que de se rebeller contre l’invisible »). D’ailleurs, dans le même sondage CSA, moins de 30% des Français affirmaient connaître le contenu du projet…

En revanche, les acteurs et observateurs du monde numérique en analysent depuis plus d’un mois les tenants et les aboutissants, et leurs avis sont quasi unanimement hostiles à la Loi sur le Renseignement. Une phrase de la tribune libre rédigée par un collectif d’hébergeurs début avril résume l’ensemble de leurs récriminations : « Le projet de loi du gouvernement est non seulement liberticide, mais également anti-économique, et pour l’essentiel, inefficace par rapport à son objectif. »

Un projet liberticide adopté sans débat démocratique

L’argument relatif à la violation des libertés individuelles est le plus soulevé. Dès l’annonce du projet, le Conseil national du numérique s’est inquiété « d’une extension du champ de la surveillance », invitant le gouvernement « à renforcer les garanties et les moyens du contrôle démocratique ». De leur côté, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Nils Muižnieks, et les rapporteurs des Nations Unies sur les droits de l’homme Michel Forst et Ben Emmerson ont cosigné une tribune libre critiquant ce projet, « parce qu’il autorise le recours à des méthodes de surveillance qui font peser une menace sérieuse sur le droit au respect de la vie privée », « parce qu’il permet la mise en œuvre de ces mesures intrusives sans un contrôle préalable indépendant », et « parce qu’il pourrait aggraver les tensions sociales en autorisant un contrôle indiscriminé de personnes qui ne sont pas soupçonnées d’activité terroriste ». Par la voix de sa présidente Isabelle Falque-Pierrotin, la CNIL s’est, pour sa part, déclarée préoccupée par la question du devenir des données collectées.

Le son de cloche est le même du côté des intellectuels. Pour le philosophe et écrivain Eric Sadin, « Cette loi est répréhensible. C’est une faute, c’est une faute politique, c’est une faute sociétale, c’est une faute éthique et c’est une faute juridique, ça fait beaucoup ! ». Antoinette Rouvroy, chercheuse au Fonds de la Recherche Scientifique belge, qualifie ce projet de « fantasme de maîtrise de la potentialité », reposant sur « l’idée que grâce au calcul, grâce à l’analyse des données en quantité massive, grâce au big data, on va pouvoir vivre dans un monde non-dangereux ».

« Etonné et inquiété » par cette loi, l’historien et sociologue Pierre Rosanvallon estime, pour sa part, qu’elle a été « très mal préparée et très mal écrite » et qu’elle n’a « aucune colonne vertébrale ». Enfin, figurant au rang des premiers et des plus farouches opposants à la Loi Renseignement, La Quadrature du Net dénonce, au-delà du contenu du projet en lui-même, la rapidité avec laquelle il est mis en place, et cela sans débat démocratique.

Le recours au big data inadapté à la lutte contre le terrorisme ?

Comme d’autres observateurs, Grégoire Chamayou, chargé de recherche au CNRS, conteste l’efficacité d’un recours au big data à des fins de surveillance : « Contre les attentats de demain, croire que les scénarios de ceux d’hier seront utiles, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, alors que la couleur et la forme de l’aiguille ne cessent de changer. Même à supposer que le terrorisme présente des signatures repérables par data mining – ce qui est pour le moins hasardeux –, pareil système va engendrer pléthore de suspects, dont une écrasante majorité de fausses pistes – et ceci par millions. »

Jean-Marie Delarue, Président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) ne dit pas autre chose, goûtant peu les « techniques évidentes de pêche au chalut » induites par ce projet. Il craint par ailleurs que la CNCTR ne soit qu’un « colosse aux pieds d’argile, un contrôleur dépendant d’un tiers pour accéder aux données qu’il est chargé de contrôler ». Selon lui, plus qu’un renforcement, « il y a donc un affaiblissement très net du contrôle ».

Un risque d’affaiblissement économique des acteurs du numérique français

Concernés au premier chef par la mesure des « boîtes noires », les hébergeurs français y ont vu une menace directe de leurs intérêts : « En tout, 30 à 40 % de notre chiffre d’affaire est réalisé » avec des clients étrangers qui « viennent parce qu’il n’y a pas de Patriot Act en France, que la protection des données des entreprises et des personnes est considérée comme importante. Si cela n’est plus le cas demain en raison de ces fameuses boîtes noires, il leur faudra entre 10 minutes et quelques jours pour quitter leur hébergeur français ». Les hébergeurs craignent par ailleurs de voir les entreprises françaises les quitter pour l’étranger : « ce sont des milliers d’emplois induits par le cloud computing, le big data, les objets connectés ou la ville intelligente que les start-ups et les grandes entreprises iront créer ailleurs ».

Face à la menace des hébergeurs de « déménager leurs infrastructures, investissements et salariés là où leurs clients voudront travailler avec eux », le gouvernement n’a pas tardé à réagir et à leur proposer l’amendement n°437. Il leur permet de faire eux-mêmes la distinction entre les données de connexion, que les services de renseignement pourront consulter sous réserve d’une validation préalable par la CNCTR, et les contenus, qui resteront privés. Cet amendement semble avoir satisfait les hébergeurs, même si Valentin Lacambre, pionnier de la liberté d’expression sur Internet, a décidé de fermer son service Altern.org, affirmant : « Pour nous, un seul jour sous écoute globale est un jour de trop ».

 

Quoi qu’il en soit, malgré les centaines de signatures des acteurs du numérique sur la Pétition NiPigeonsNiEspions, la Loi Renseignement a désormais été adoptée par l’Assemblée Nationale. Voyons maintenant quel sera l’avis du Conseil Constitutionnel, que François Hollande s’est engagé à saisir.

Big Data ou Big Brother ? la raison du numérique

Une intéressante interview d’Eric Sadin, écrivain et philosophe, auteur de « La vie algorithmique, critique de la raison numérique », en plein dans le thème de notre prochaine Université d’été, les 22 & 23 juin prochains, sur les enjeux de la numérisation de nos vies en termes de vie privée.

(voir la page de l’émission sur le site de France Inter)

Comment ça, je suis surveillé ?

Pour vous préparer au débat sur les enjeux de la numérisation de nos vies en terme de respect de la vie privée, thème de notre Université d’été des 22 & 23 juin prochains, vous pouvez consulter l’excellente « web série » mise en place par Arte : Do not track

DoNotTrack

Entièrement interactive, elle vous permettra de comprendre par qui, pourquoi et comment vos usages des outils numériques sont collectés et utilisés.

Petit extrait de la présentation du projet :

Do Not Track explore les différentes manières dont le Web moderne enregistre et traque nos activités, nos publications et nos identités. Pour vous aider à comprendre comment vos informations sont utilisées et collectées… nous vous demandons de participer avec vos données. Oui, vos données. Ça peut sembler paradoxal, mais c’est en vous prêtant au jeu que vous pourrez comprendre l’implication du tracking – non seulement pour vous, mais pour vos amis ou votre famille. Quelle est la valeur cachée derrière chacun de vos clics ? Que se passe-t-il sans que vous vous en rendiez compte et sans votre consentement ? Soyez curieux et reprenez le contrôle.
Toutes les deux semaines, un épisode personnalisé abordera un sujet différent : de nos téléphones portables aux réseaux sociaux, de la publicité personnalisée au big data.
Leur point commun ? Utiliser les méthodes et outils des trackers pour vous traquer pendant que vous les regardez.
Nous voulons expérimenter le tracking pour ainsi mieux le comprendre. Nous vous demanderons de nous donner des informations personnelles sur vos goûts, vos avis, vos habitudes. Plus nous en saurons, plus vos épisodes seront personnalisés. Rien que pour vous.
Entre chaque épisode, lisez, écoutez et fouillez plus en profondeur les thématiques abordées, à travers du contenu supplémentaire. Commentez et échangez sur les sujets abordés. Pour rester informé et vivre l’expérience complète, laissez-nous votre mail !

Université d’été de la CFE-CGC/UNSA : J-10

L’université d’été a lieu les 5 & 6 juillet prochains. Le programme et les modalités d’inscription sont disponible sur le site de la CFE-CGC/UNSA. En principe, les inscriptions sont clôturées. Mais vous pouvez toujours tenter votre chance, peut-être reste-t-il quelques places ?

Ce sera l’occasion notamment de rencontrer Maya Bacache-Beauvallet, maître de conférence en économie à Télécom-ParisTech, chercheur au CEPREMAP (Centre pour la recherche économique et ses applications) et associée au laboratoire MATISSE du Centre d’Économie de la Sorbonne.

Le titre de son dernier livre :  Les Stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux (Éditions du Seuil) est déjà tout un programme.

Pour en savoir plus, vous pouvez allez lire 5 questions à Maya Bacache-Beauvallet sur le management par les indicateurs de performance, sur le Site des Sciences Économiques et Sociales…

… et contacter la CFE-CGC/UNSA pour vous inscrire à l’Université d’été.