Interviewée en 2012, la Vice-Présidente Marketing américaine du spécialiste de l’informatique décisionnelle SAS affirmait qu’en matière de Big Data, « le plus grand risque est de ne rien faire ». Trois ans après cette déclaration, la plupart des projets de Big Data en sont encore au niveau expérimental.
Pour l’entreprise, le premier risque en matière de Big Data, c’est l’échec !
Etant donné le coût élevé des projets, les dirigeants doivent avoir du mal à accepter des verbatim tels que ceux de la récente étude de Capgemini : « seuls 27% des cadres interrogés estiment que leurs initiatives liées au Big Data sont couronnées de succès ». Voilà un pourcentage de réussite très faible, surtout si on garde à l’esprit que les projets en production ne sont, pour l’instant, pas si nombreux (seulement 13% des entreprises concernées, toujours selon Capgemini).
Il faut dire que les causes potentielles d’échecs sont multiples. L’étude Capgemini met en avant des difficultés d’ordre principalement technique : l’absence de cas d’usages suffisamment clairs pour l’instant, la difficulté de collecte de données dispersées dans des silos non intégrés, une coordination inefficace des démarches d’analyse, une trop grande dépendance vis-à-vis des systèmes préexistants de traitement des données. Les dirigeants français interrogés dans le livre blanc d’EBG proposent une vision qui va au-delà du challenge technique. Ils pointent ainsi du doigt des difficultés plus stratégiques, telles que les risques de « se perdre dans le foisonnement de la donnée » et de se laisser gagner par l’infobésité, ou encore de mal appréhender le « dilemme de la monétisation des données », entre commercialisation directe, ouverture gratuite vers l’extérieur ou confinement interne. Ils évoquent aussi des obstacles organisationnels comme la difficulté à instaurer dans l’entreprise une « culture de la donnée » qui vient souvent se heurter à l’incompréhension et à l’indifférence, sinon à la méfiance ou à la défiance des salariés. Par ailleurs, ils déplorent que les fameux « data scientists » restent, pour l’instant, des profils rares, causant un « épineux problème de compétences ».
Enfin, toutes les questions relatives à la nature même des données personnelles et aux conditions de leur collecte, de leur stockage et de leur analyse, sont bien évidemment au centre du débat. Elles représentent autant de sources potentielles de dangers, tant pour le citoyen, qui met en jeu sa vie privée, que pour l’entreprise, qui met dans la balance la confiance de ses clients. Ces problématiques ont déjà suscité nombre de tribunes libres, mais nous allons ici essayer des sérier les risques.
Mes données privées sur la place publique…
Quelle est actuellement l’opinion sur le Big Data des 600 millions d’utilisateurs du site AdultFriendFinder, « La plus grande communauté de rencontres, de plans et sexe », dont les données ont été piratées et diffusées en ligne il y a quelques semaines ? Figurant parmi les derniers d’une série, déjà longue, de scandales liés aux failles informatiques, cet épisode rappelle à quel point, dans un monde de plus en plus connecté et interconnecté, la question de la sécurité des données est cruciale pour la protection de la vie privée. Il en est de même pour les données financières, le piratage d’un processus d’achat en ligne étant susceptible d’avoir des conséquences économiques très graves, pour l’entreprise comme pour ses clients.
… ou surexploitées par les entreprises et les pouvoirs publics
Ce risque accapare l’essentiel du débat. Alors, bien sûr, en France l’utilisation des données personnelles est soumise à la loi Informatique et Libertés – qui, au passage, est bien antérieure au Big Data, puisqu’elle a été promulguée en 1978 en tant que bouclier au projet SAFARI d’interconnexion des fichiers nominatifs de l’administration que souhaitait mettre en place le gouvernement de l’époque. Par ailleurs, le principe de l’opt-in, notamment dans le cadre d’une utilisation marketing des données, permet de contrôler une partie des informations personnelles que nous divulguons. Mais, chaque jour, les géants du Web inventent de nouvelles façons de scruter et d’analyser nos comportements en ligne : aujourd’hui, c’est Facebook qui nous annonce qu’il va modifier son algorithme, qui sera bientôt capable de mesurer le temps passé par un internaute sur un contenu donné, cette connaissance plus fine des goûts des utilisateurs se traduisant par une publicité toujours plus personnalisée. Et n’oublions pas les objets connectés susceptibles de véhiculer une masse importante d’informations sur nos modes de vie, notre façon de consommer, nos habitudes et préférences. D’une utilisation encore limitée aujourd’hui, ils devraient se répandre dans les années à venir.
Aujourd’hui, qu’il prenne la forme d’une entreprise ou d’un organe étatique, Big Brother ne se cache plus derrière la porte, il l’ouvre en grand sans même prendre la peine de sonner. Sous prétexte de faciliter les échanges économiques ou de renforcer la sureté nationale, les législations fleurissent qui, à l’instar de la récente Loi Renseignement, légitiment le recours à des méthodes de surveillance de plus en plus poussées. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer l’instauration d’un contexte de plus en plus orwellien et insistent sur l’importance de la protection de la vie privée, même quand on n’a « rien à cacher ».
Et si quelques entreprises accaparaient la donnée ?
La dernière catégorie de risques est liée à une monopolisation de la majeure partie des données par un groupe restreint d’entreprises, en premier lieu les fameux GAFA (Google, Facebook, Facebook, Amazon), susceptibles de les monétiser via le commerce et/ou la publicité.
La détention de cet or noir est susceptible de leur conférer un pouvoir encore supérieur à celui, important, qu’elles détiennent déjà. Plusieurs menaces affleurent, induites par cette position monopolistique : une vassalisation de la recherche scientifique publique au profit de ces sociétés, une mésinterprétation/surinterprétation des données pour les faire aller dans le sens souhaité sans risque de contradiction, un appauvrissement de l’offre de produits/services proposés en la limitant aux succès prédits par le Big Data, une exacerbation de la fracture numérique entre les entreprises détentrices des données et capables de les analyser… et les autres.
Alors, effectivement, en matière de Big Data, le plus grand risque est sans doute que l’on ne fasse rien, que les entreprises et les pouvoirs publics ne prennent pas conscience de leurs responsabilités, ni les citoyens de leurs droits.
Toutes ces problématiques seront bien évidemment abordées lors de l’Université d’été de la CFE-CGC Orange, qui aura lieu en début de semaine prochaine, les 22 et 23 juin.
One thought on “Big Data : de nombreux risques, pour l’entreprise comme pour le citoyen”