Une fois de plus, les principes du droit anglo-saxon s’opposent à la vision partagée par les autres pays d’Europe, qu’on pourrait définir comme inspirés du droit romain.
Il s’agit en l’occurrence de la mise en œuvre du droit à l’oubli, actuellement défendu par une directive européenne de 1995 sur les données personnelles, récemment explicitée par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne à l’encontre de Google, « estimant qu’un moteur de recherche sur Internet est responsable du traitement des données personnelles contenues dans les pages indexées et donc les résultats de recherche fournis aux internautes.« , qui conduit aujourd’hui le moteur de recherche à supprimer des liens vers des pages de Wikipedia, qui crie à la censure.
Qu’a-t-on le droit de savoir sur qui ?
En gros, l’Union européenne défend le droit à l’oubli, les anglo-saxons défendent le droit de savoir. Une vraie question, à la fois
- juridique : qui a le droit d’exposer ou de demander la suppression de quelle information concernant des personnes ?
- technique : est-il possible de supprimer toute trace d’une information publiée sur Internet, sachant notamment que n’importe qui peut l’avoir captée à un instant T, pour la republier plus tard sur le net, au même endroit ou ailleurs ? Une pratique courante sur certaines pages Wikipedia régulièrement remaniées pour faire apparaître ou disparaître des informations jugées « sensibles » ou simplement inadéquates par les personnes concernées.
- et enfin morale : pour combien de temps doit on être considéré comme responsable et comptable d’actes qu’on a renié depuis, voire légalement expiés ? l’être humain a-t-il droit à l’erreur ? est-ce que cela varie en fonction du caractère plus ou moins public de la personne concernée ? qu’a-t-on le droit de savoir sur autrui ? qui peut juger de l’adéquation des informations délivrées sur une personne, la personne concernée ou des tiers ? et selon quels critères ?
C’est aujourd’hui un vrai sujet de société, qui mérite qu’on prenne le temps du recul pour analyser les arguments de chacun, qui, pris isolément, apparaissent tous défendables : on lira avec profit les articles du Monde cités en lien et leurs références, et toute la polémique autour de Google et des données personnelles (Google a notamment publié le 31 juillet une lettre ouverte aux CNILS européennes pour expliquer qu’il ne sait plus trancher ce qu’il doit ou non supprimer de ses résultats de recherche).
Censure ou… auto-censure ?
Si on y regarde d’un peu près, on s’aperçoit que les défenseurs du droit de savoir, de la transparence, crient à la censure chaque fois qu’on leur demande d’effacer un lien ou une information au nom du respect des données personnelles, de la vie privée ou du droit à l’oubli.
On se souvient de la fracassante déclaration d’Eric Schmidt, PDG de Google : « Si vous faites quelque chose que vous souhaitez que personne ne sache, peut-être devriez vous commencer par ne pas le faire. » Autrement dit, » pratiquez l’auto-censure pour vous conformer à la morale dominante, et vous n’aurez rien à cacher, donc rien à craindre… notamment de nos merveilleux outils d’investigation, dont la puissance dépasse ce que vous pouvez imaginer « .
Rien d’étonnant sans doute de la part d’États-uniens qui se posent en défenseurs de la démocratie et de la liberté d’expression. Mais l’histoire montre que même la puissance impérialiste des États-Unis est incapable de protéger les citoyens du monde contre toute dictature… et en cas de dictature, la transparence peut-être fatale, même pour ceux qui n’ont transgressé aucune loi.
Et les faits concrets démontrent qu’en parallèle, la vision libérale, voire ultra-libérale, défendue par les mêmes, conduit à un véritable « pilotage » des individus par les intérêts commerciaux, clairement lisible dans les propos des dirigeants de Google tels que rapportés dans l’article de Rue89, et que chaque internaute peut régulièrement expérimenter s’il est un peu vigilant. Est-ce encore vraiment de la démocratie ?
Je n’aurai pas l’audace de prétendre trancher cette question, qui mérite assurément un débat plus nourri, mais simplement d’y apporter mon grain de sable… pour vous donner à réfléchir sur la plage.