La filiale télécoms de Bouygues est en pleine réorganisation du temps de travail. Les jours de RTT pourraient être payés aux salariés qui le souhaitent.
Source : Bouygues Telecom renégocie les RTT – Le Figaro
Pas de licenciement programmés donc chez Bouygues Telecom (ouf)… mais, comme on peut s’y attendre partout où il y a forte compression des effectifs, l’employeur a besoin de faire travailler plus ceux qui restent pour assurer l’ensemble de l’activité.
Une idéologie économique qui conduit inéluctablement à la destruction des emplois
Le phénomène n’est évidemment pas surprenant, et toutes les mesures prises ces dernières années sapent progressivement tous les acquis sociaux des salariés, dans un processus très pervers qui se déroule cependant toujours à peu près selon les mêmes étapes. Dans le secteur des télécoms, nous venons de le rappeler dans notre tribune :
- on crée les conditions d’une concurrence effrénée, en théorie au bénéfice du consommateur final ;
- la guerre des prix qui s’ensuit, alors que le marché n’a pas la capacité d’absorber 4 opérateurs dans des conditions optimales de rentabilité et d’investissement dans la durée, rogne les marges, tandis qu’il est difficile de se développer (et même de se maintenir) sans continuer d’investir dans les réseaux ;
- les acteurs en présence compriment tous leurs coûts de fonctionnement, dont évidemment les salaires, que certains tendent d’ailleurs trop souvent à considérer comme des dépenses et non comme un investissement indispensable à la dynamique de développement de l’entreprise ; cela se traduit par des destructions massives d’emplois, par tous les moyens possibles (et il en existe de plus en plus avec la promulgation de la Loi Travail) ;
- enfin, une fois que les effectifs ont été réduits jusqu’à l’os, on s’aperçoit que les ressources humaines sont insuffisantes pour traiter toute l’activité.
Une pression accrue sur ceux qui travaillent
Que se passe-t-il alors ? On pourrait évidemment embaucher… C’est non seulement délicat après un plan de départs (volontaires ou contraints), mais c’est surtout contraire à l’idéologie patronale : le chômage est une modalité de partage du travail qui lui convient, car elle permet de faire pression à la baisse sur l’ensemble des variables du coût du travail, et d’obtenir des salariés plus dociles. Nous devons donc nous attendre à ce que tout y passe :
- augmentation du temps de travail de ceux qui ont un poste, souvent déjà effective, notamment pour les cadres qui dépassent allègrement leur temps de travail théorique grâce au forfait jour qui fait l’impasse sur l’horaire effectif journalier, et ce sans compensation salariale (ou une compensation incomplète du travail supplémentaire demandé) ;
- suppression des RTT, qui rappelons le ont compensé une intensification du travail conséquente depuis leur mise en place, et qui devaient permettre aux entreprises d’optimiser les plages d’activité de leurs équipes, pour mieux répondre aux attentes de la clientèle (extension des horaires d’ouverture par exemple) ou mieux utiliser l’outil industriel (faire tourner les machines quasiment 24 x 7) afin d’améliorer leur efficacité globale et donc leur rentabilité, ce qui a souvent été le cas ;
- baisse de la rémunération chaque fois qu’elle est possible, très facilement via l’intéressement et la participation, ou au travers de toutes les rémunérations variables dont il est toujours possible de faire varier les paramètres pour verser moins aux personnels, et demain sous d’autres formes encore, rendues possibles par la Loi Travail ;
- gel ou quasi gel des augmentations salariales, régime sous lequel nous vivons depuis déjà plusieurs années, et qui, de plus en plus, s’accompagne également d’un gel des promotions / évolutions de carrière, les nouvelles compétences que les salariés sont contraints d’acquérir de plus en plus vite n’étant plus considérées comme valorisables pour lesdits salariés (seule l’entreprise en tire profit) ;
- dégradation des conditions de travail, à la fois par l’intensification de la pression aux résultats et des rythmes de travail qui s’accélèrent, mais aussi – et cette question ne devrait pas être négligée par les employeurs s’ils veulent conserver des salariés motivés, et donc efficaces – sentiment de plus en plus amer que les efforts consentis ne sont plus reconnus à leur juste valeur.
La vigilance des syndicats de plus en plus nécessaire
Alors que tous ces éléments sont, de plus en plus, renvoyés à la négociation dans les entreprises, il importe que les représentants syndicaux des salariés ne bradent pas le travail de leurs collègues.
Pour cela, ils doivent à la fois continuer de s’armer pour faire des analyses pertinentes permettant de démonter les argumentations fallacieuses qu’on leur oppose régulièrement, mais aussi réfléchir sérieusement aux moyens de restaurer un rapport de force qui rétablisse l’équilibre : aujourd’hui, et quoiqu’ils en disent, ce rapport de force est clairement du côté des employeurs, qui ont parfaitement réussi leur lobbying jusqu’à convaincre un gouvernement dit « de gauche » de prendre des mesures anti-sociales et d’adopter les idées les plus destructrices de l’idéologie néo-libérale.
Ce n’est pas toujours simple, car nous sommes tous attachés à la pérennité de nos entreprises, dont les difficultés économiques peuvent être bien réelles, et la plupart des salariés, syndicalistes compris, sont prêts à faire des sacrifices pour les sauver. Mais nous ne devons pas pour autant tout accepter : si la croissance est en berne, les inégalités sont en hausse. Il est donc plus que jamais nécessaire de défendre l’intérêt des travailleurs, ceux qui sont en poste comme ceux qui voudraient bien l’être.
En l’occurrence, les études économiques sérieuses montrent que les mesures les plus efficaces pour lutter contre le chômage ont été… celles de la réduction du temps de travail (revoir ici, là et là par exemple). Si nous voulons faire notre job de syndicalistes, ce n’est donc sans doute pas le moment d’accepter un recul sur ce plan.