Rapports Larcher : à relire d’urgence

Les événements de l’été 2009, et en particulier des suicides sur le lieu de travail, ont mis en évidence aux yeux de tous la vraie nature de la tragique situation sociale qui prévaut à France Télécom SA.

L’absence de dialogue social, dénoncée depuis plusieurs années par la CFE-CGC, est désormais admise par plusieurs organisations syndicales, relayée par la Presse et confirmée par le Ministre du Travail :

  • En  ne consultant pas (ou insuffisamment) et en n’informant pas (ou insuffisamment) les CHSCT préalablement à toute décision portant sur la prévention  des risques professionnels et sur l’amélioration des conditions de travail, l’entreprise ne respecte ni les dispositions du code du travail (ses art L 4611-1 à L 4614-16) ni celles de la Convention Collective Nationale des Télécommunications.
  • L’employeur n’assure pas à ses personnels des conditions d’hygiène, de sécurité et de travail satisfaisantes et conformes aux exigences du code du travail (ses art L 1151-1 à L 1152-6 et L 4121-1 à L 4121-5 notamment) et de la Convention Collective Nationale des Télécommunications.
  • L’employeur ne respecte pas les dispositions conventionnelles relatives au stress au travail (ANI du 2 juillet 2008 et Convention Collective Nationale des Télécommunications).
  • L’employeur ne respecte pas les droits garantis aux comités d’établissements par le code du travail en matière d’information et de consultation sur les problemes généraux concernant les conditions de travail (son art L 2323-27).
  • L’employeur refuse de négocier loyalement les dispositions collectives applicables aux personnels et destinées à prendre en compte les conséquences sociales des réorganisations de l’entreprise (la GPEC par exemple).

Tous s’accordent à considérer que la transformation d’une Administration d’Etat (la Direction Générale des Télécommunications) en une SA cotée en Bourse détenue minoritairement par l’Etat peut expliquer, au moins pour partie, les difficultés sociales actuelles, d’autant plus que cette transformation s’est faite relativement rapidement en une quinzaine d’années, de 1991 à 2005.

Au moment où la Direction de l’entreprise apparait incapable de prendre la mesure de la situation et de proposer des solutions à la hauteur des enjeux, notre syndicat a décidé d’interpeler l’Etat à un double titre : l’Etat  est (encore) le propriétaire « principal » du capital de l’entreprise et il est aussi l’employeur de la majorité de ses personnels : les 60000 fonctionnaires.

La situation actuelle était-elle prévisible ?

OUI bien sûr !

Elle était même annoncée dans 2 rapports de la Commission des Affaires Economiques du Sénat, mais les mesures de sauvegarde préconisées dans les rapports n’ont pas été appliquées !

Comment a été instruite la transformation de la Direction Générale des Télécommunications  en une Société Anonyme ?

Seules des évolutions législatives permettaient ces tranformations et, le 8 novembre 1995, Monsieur Gérard LARCHER s’est vu confier, par la Commission des Affaires Economiques du Sénat, la mission d’élaborer un rapport sur l’avenir de France Télécom.

Les conclusions de ses travaux constituent le rapport n° 260 du Sénat, paru en mars 1996 et intitulé : « L’avenir de France télécom : un défi national »

Plus tard, en 2001 la Commission des Affaires Economiques du Sénat a confié à Monsieur Gérard LARCHER, la mission de préparer les évolutions législatives conduisant à la privatisation de l’entreprise .
Les conclusions de ses travaux constituent le rapport n° 274 du Sénat, paru en mars 2002 et intitulé : « France Télécom : pour un avenir ouvert »

Pour la compréhension globale des évolutions du secteur des télécommunications pendant cette période, on pourra lire avec profit le rapport n° 273 du Sénat, rédigé par Monsieur Pierre HERISSON sénateur, paru en mars 2002 et intitulé : « Télécommunications : la réforme 5 ans après »

Le rapport du Sénat n° 260  de mars 1996 « L’avenir de France télécom : un défi national »

Les difficultés sociales auxquelles allaient etre confrontées l’entreprise sont clairement identifiées dès 1996 dans le rapport :

  • le préambule et ses 6 citations d’entretiens avec des membres du personnel.
  • Chapitre II page 43 et suivantes : « les vulnérabilités nées du passé » et plus particulièrement les analyses sur « le poids des réflexes réglementaires » et « le statut de droit administratif »
  • Chapitre III  page 66 à 68 : « un double défi social et moral » particulièrement critique sur les modes de fonctionnement dans l’entreprise.

Des pistes de solution ont été décrites dans ce rapport  :

  • page 78 et 79 : la prise en compte des attentes des personnels en matière de dialogue social.
  • page 174 : « l’aide aux reclassements de fonctionnaires dans la fonction publique »
  • page 175 : «  la liberté effective pour un fonctionnaire de choisir le statut de salarié de droit privé sous convention collective »

Force est de constater que 13 ans plus tard ces mesures n’ont pas été mises en œuvre alors qu’elles constituaient le  minimum attendus par les personnels et notamment par ceux qui, depuis le 31 decembre 2006, ne peuvent plus partir en préretraite (le fameux CFC) comme leurs (46000 ?) prédecesseurs  ont pu le faire pendant 10 ans.

Pourquoi ?

Le rapport du Sénat n° 274  de mars 2002 « France Télécom : pour un avenir ouvert »

Plus d’un an avant le dépôt du projet de loi de privatisation de France Télécom (juillet 2003), Monsieur Gérard LARCHER s’est à nouveau penché sur cette entreprise avec pour objectif visible de « déminer le terrain » et plusieurs constats inquiétants ont été faits :

  • page 78 et 79 est clairement identifié : « le caractère anxiogène des mutations fonctionnelles et géographiques ».
  • page 137 France Télécom déclare : « il parait juridiquement difficile … que des fonctionnaires en position d’activité soient employés par une entreprise non détenue majoritairement par l’Etat. Dès lors, la solution au problème devrait sans doute etre recherchée dans un dispositif de type détachement ou mise à disposition »

Le rapport préconise des solutions :

  • page 99 : un projet social apportant des réponses aux inquiétudes des personnel
  • page 109 à 111 : le « détachement législatif des fonctionnaires de France Télécom » avec si nécessaire la création « d’une structure d’Etat spécifique d’accueil de ceux de ses fonctionnaires souhaitant quitter l’entreprise du fait de sa privatisation ».
  • page 111 et 112 : la mise en place d’un large dialogue social en préalable au dépôt du projet de loi de privatisation
  • page 112 et 113 : une courageuse (et argumentée) proposition destinée à ne pas imposer aux fonctionnaires de France Télécom de rester fonctionnaire mais au contraire de proposer à ceux qui le souhaitent d’opter pour le droit commun.
Qu’est-il advenu de ces prises de conscience et de ces préconisations ?

RIEN (OU SI PEU DE CHOSES)

  • Le dialogue social ne s’est pas amélioré,
  • les vieux démons du passé administratif ont perduré du coté de la Direction de l’entreprise : « mieux vaut une décision unilatérale qu’un accord car il est plus facile de prendre une autre décision que de renégocier un accord ».
  • La loi du 31 décembre 2003 a escamoté les problèmes liés au double statut des personnels en créant un ornithorynque juridique coté en Bourse, dont l’Etat peut réduire à sa guise sa part dans le capital mais qui emploie en grand nombre des fonctionnaires d’Etat en position d’activité aux cotés des salariés soumis au droit commun !
Des pistes de solutions

Conduire à nouveau une large réflexion sur la situation à France Télécom et pourquoi ne pas en confier la responsabilité à la Commisssion des Affaires Economiques du Sénat qui a su démontrer, à 2 reprises, d’une part sa capacité a analyser la situation de France Télécom à la veille de ses évolutions structurantes et d’autre part à faire des propositions concrètes ?

La privatisation de France Télécom n’est pas terminée sur le plan social et seule la volonté de l’Etat permettra de mettre fin à une situation dangereuse pour les personnels et à risque pour l’entreprise sur le plan économique.

Paris, le 29 septembre 2009
Jean-Pierre FORBÉ
Délégué syndical à France Télécom SA de 1995 à 2007

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