Quand l’opérateur télécoms revient dans la publicité, après avoir abandonné la régie de PagesJaunes en 2006, et qu’il veut rivaliser avec des Publicis ou Bolloré, ne cède-t-il pas au miroir aux alouettes de l’audiovisuel, au moment même où les modèles publicitaires sont moins assurés que jamais?
Ce grand groupe français rachète une régie publicitaire, puis cherche à en acquérir une autre dans l’audiovisuel… Publicis? Non, France Télécom, qui le 28 août, a annoncé le rachat d’Unanimis, une régie anglaise spécialisée dans la publicité sur Internet, pour un montant non communiqué. Un achat qui suit le partenariat annoncé quelques semaines plus tôt entre le service de vidéo à la demande d’Orange et TF1 Vision.
Image John.P. (Flickr) sous licence CC by-nc
Incidemment, on apprend quelques jours plus tard que l’entreprise serait également candidate à une prise de participation dans la régie France Télévisions Publicité.
Sébastien Crozier, élu de la CFE-CGC/UNSA au Comité central d’entreprise de France Télécom, s’en émeut dans un courrier à Didier Lombard, dont l’AFP a eu connaissance.
Fin avril, Lepoint.fr avait annoncé que l’ouverture du capital de France Télévisions Publicité (FTP), envisagée par le PDG de France Télévisions, Patrick de Carolis, pour 30 à 40% de la régie publicitaire, était confiée à la banque Rothschild & Cie. Selon Le Point, l’acheteur doit s’engager à verser chaque année un minimum garanti (de l’ordre de 250 à 300 millions d’euros).
Des sorties de cash aux conséquences « loin d’être neutres »
Le syndicat estime dans sa lettre qu’« une telle prise de participation serait de nature à bousculer largement l’activité de notre Réseau Orange Network Advertising, en France particulièrement ». Et il s’étonne « que France Télécom n’ait pas informé ses salariés de son intention de faire une proposition ferme d’acquisition ».
Aussi Sébastien Crozier demande-t-il au PDG de France Télécom d’« informer le Comité central dans les meilleurs délais » de « ces deux acquisitions qui infléchissent la stratégie de notre entreprise » et « génèreront des sorties de cash dont les conséquences opérationnelles sont loin d’être neutres ».
L’Association de défense de l’épargne de l’actionnariat des salariés (Adeas) se joint à cette demande d’explications.
Des interrogations sur la stratégie de l’entreprise
Une telle prise de participation de la part de l’opérateur historique suscite de nombreuses interrogations :
– quel est le cœur de métier de France Télécom? Si la publicité a du sens dans l’activité de l’opérateur, était-il logique de vendre les PagesJaunes fin 2006 pour revenir dans ce secteur trois ans plus tard?
– le modèle publicitaire de la télévision sur Internet est encore à définir, formats, rémunérations, streaming ou téléchargement, etc. Voir les difficultés de la presse écrite à se reconvertir en numérique. Et plus largement, alors que la crise économique freine la consommation, que les crises écologiques (réchauffement climatique, hausse des matières premières…) amènent à réviser le modèle du « consommer toujours plus et plus vite », il est douteux que la publicité dans son ensemble ne s’en ressente pas.
Côté publicité à la télévision, difficile d’ailleurs de ne pas remarquer que les chaînes privées, pourtant privilégiées par la suppression de la publicité en soirée sur le service public, ont vu leur chiffre d’affaires baisser au premier semestre 2009 (moins 23% pour le leader TF1, moins 14,1% pour M6).
La TV sur mobile loin de la rentabilité, même en Asie
– la télévision sur mobile est toujours dans les limbes: de son voyage au Japon et en Corée en février, la secrétaire d’État à l’Économie numérique Nathalie Kosciusko-Morizet était revenue en admettant que même dans ces pays qui comptent bien plus d’utilisateurs d’Internet mobile, les opérateurs étaient loin d’avoir trouvé un modèle économique valide pour la télévision mobile personnelle.
Enfin, autre point nébuleux, on peut relire avec intérêt la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, celle qui a réglé l’extinction progressive de la publicité à l’antenne et la taxe sur les opérateurs : son article 28 parle de l’arrêt des messages publicitaires dans les « services nationaux de télévision mentionnés au I de l’article 44, à l’exception de leurs programmes régionaux et locaux ».
Question: qu’en est-il de la publicité sur les sites web de l’audiovisuel public? Des messages dans ou autour des « replay » qui permettent de revoir une émission dans les jours qui la suivent?
Ainsi France Télécom fait-il une embardée vers des activités publicitaires dans un paysage en plein brouillard. On peut se demander si le groupe de télécoms ne se laisse pas distraire par les paillettes de l’audiovisuel, miroir aux alouettes qui aveugla naguère Jean-Marie Messier lorsqu’il a entraîné Vivendi dans la folle course que l’on sait…
S’il peut sembler légitime de rechercher de nouveaux relais de croissance alors que l’univers des télécommunications est en pleine mutation, on ne saurait conseiller à l’opérateur de se laisser distraire de ses activités principales. Si la publicité sur Internet a connu la meilleure croissance d’un marché publicitaire par ailleurs en berne ces trois dernières années, il faut garder à l’esprit que l’ensemble du marché publicitaire ne représente qu’un tiers du marché des services de télécommunications, que l’on raisonne à l’échelle française ou mondiale.
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