Pied de nez à l’idéologie libérale en Angleterre: fusion entre Orange et T-Mobile

France Télécom et Deutsche Telekom viennent d’annoncer leurs négociations exclusives pour signer d’ici la fin octobre la fusion en Grande-Bretagne de leurs filiales Orange UK et T-Mobile UK. L’ensemble réunissant les numéros trois et quatre de la téléphonie mobile deviendrait ainsi numéro un outre-Manche. La future marque unique Orange, achetée 50 milliards d’euros en 2000 par France Télécom, comptera ainsi 28,4 millions de clients, soit 37% du marché anglais du mobile, devant l’actuel leader O2 (27,7%) et Vodafone (24,7%), indique l’AFP.

Cabines dominos
Cabines dominos

Image doug88888 (Flickr) sous licence CC by

Une fusion soumise à l’accord des autorités de la concurrence

L’opération devra être acceptée par les autorités britanniques et européennes de la concurrence pour se concrétiser.

«LOfcom [Office of communications], régulateur anglais, a déclaré qu’elle examinerait attentivement le protocole d’accord. Mais il y a peu de chances que les concurrents déposent des plaintes.

Les opérateurs Vodafone et Telefonica ont vu échouer leurs offres respectives sur T-Mobile, mais la stabilisation des prix leur sera profitable. Le minuscule opérateur Three lui-même, filiale de Hutchison Whampoa, tirera avantage des collaborations technologiques qu’il a nouées avec l’une et l’autre des parties (…) le projet est intelligent, et il a le mérite de bénéficier à tous d’une manière ou d’une autre », estime BreakingViews dans le Monde.

Mais plus largement, cette fusion en cours questionne l’idéologie d’une concurrence «bénéfique pour le consommateur», défendue par la Commission européenne. Le Figaro cite Pierre Péladeau, associé en charge du département télécom média chez Booz & Company: « Nous remarquons que dans les pays où il y a quatre grands opérateurs mobiles ou plus il est très difficile pour le dernier d’être rentable. » Le marché britannique, qui fut le premier en Europe à expérimenter l’ouverture à la concurrence, est actuellement en phase de concentration rapide, comme cela s’est récemment produit aux Pays-Bas.

Cependant, en France le gouvernement se prépare à attribuer une quatrième licence de téléphonie mobile.

Contraintes géographiques

Les concentrations en cours montrent l’absurdité du dogme de la Commission («3 licences dans les petits pays, 4 dans les grands»), selon lequel l’intensification de la concurrence entraîne la baisse des tarifs au profit du consommateur. Méconnaissant les concepts clés du métier d’opérateur, la Commission boitille entre son idéologie et les rappels à la réalité. La concurrence, bonne pour les consommateurs? S’ils sont londoniens, ils ont le choix entre cinq opérateurs, Great!, mais s’ils sont écossais, certains n’ont aucun accès au téléphonie mobile…

La Commission semble régulièrement oublier que, dans une activité de réseau, le critère clef n’est pas la taille du pays, mais sa densité de population, et plus encore l’hétérogénéité de cette densité. Les nouveaux entrants n’étant pas des entreprises à caractère philanthropique, ils s’installent prioritairement dans les zones à forte densité de population, pour capter des clients à moindre frais. Ils ne contribuent pas, ou très peu, à l’amélioration de la couverture géographique… et lorsqu’ils le font, c’est pour vendre leurs prestations au prix fort.

Téléphones mobiles
Téléphones mobiles

Image Stéfan (Flickr) sous licence CC by-sa

Seuls les habitants des grandes métropoles bénéficient d’une baisse des tarifs. On est très loin de la gestion d’une couverture homogène des territoires, alors que les infrastructures de télécommunications sont aujourd’hui jugées stratégiques pour le développement économique et font partie des « services de base » auquel tout citoyen doit pouvoir accéder.

On est plus loin encore de la «péréquation tarifaire», qui permettait, du temps des opérateurs historiques, de fournir le service dans les mêmes conditions économiques pour tous les citoyens. Le «bénéfice consommateur» de la Commission européenne se réduit donc à une baisse des tarifs dans les zones urbaines très concentrées.

Quant aux avantages de l’hyper-concurrence, les études comparatives de l’Ofcom montrent qu’on est loin des évidences supposées par la Commission, qui devraient placer les pays au plus grand nombre d’opérateurs en tête: la France s’y situe en fait dans la moyenne, et est même le pays le moins cher pour les connexions haut débit.

Un partage par territoires au lieu d’une présence homogène

On constate que des grands opérateurs comme DT se désengagent progressivement de nombreux marchés européens, et ne pourront in fine mettre en place leurs stratégies de marques globales à l’échelle européenne. On s’achemine donc plutôt vers un partage des territoires, au détriment d’une présence homogène dans toute l’Europe, qui aurait pu permettre cette réelle concurrence «au bénéfice des consommateurs» à laquelle prétend la Commission.

A contrario, on constate que le dogme de la concurrence à tous crins a pour effet réel une mise sous tension inutile des entreprises, que payent les salariés: suppressions d’emploi en masse, délocalisations d’activité hors d’Europe (plateaux téléphoniques pour les pays francophones, mais aussi sous-traitance de développements informatiques en Asie), tout cela sur des marchés exploitant ces ressources rares que sont les fréquences, et fortement marqués par les logiques géographiques.

En France, on a délocalisé environ 20.000 emplois du type centre d’appels, soulignait Sébastien Crozier (CFE-CGC Unsa télécoms) à BFM le 17 août (podcast de l’émission), une hémorragie d’emplois qui ne sera pas freinée par la quatrième licence, puisqu’aucune clause de création des emplois en France n’y figure. Doit on en déduire que les emplois sont moins importants qu’une (éventuelle) baisse tarifaire des services télécoms dans les grandes métropoles?

7 thoughts on “Pied de nez à l’idéologie libérale en Angleterre: fusion entre Orange et T-Mobile

  1. Tant que OUK a été filiale de FT, il y a eu de constants échanges entre eux et nous; ils nous demandaient des nouveautés, on leur retournait des innovations, pouvant être de nouveaux services ou des améliorations techniques. Une fois l’accouplement fait avec T-Mobile UK ces échanges vont forcément se réduire pour éviter que T-mobile dans son ensemble n’en bénéficie à bon compte; du côté DT la tendance sera la même : ainsi le 1er effet du regroupement sera de statufier les deux ex-concurrents ce qui n’est pas opportun dans des métiers fortement évolutifs.

    Les effets attendus sur l’optimisation des réseaux seront plus longs qu’on croît à atteindre surtout si comme c’est probable ils ne sont pas des mêmes fournisseurs; il faut modifier ou reprendre un par un tous relais pour les adapter à des règles communes.

  2. D’accord avec toi sur l’optimisation des réseaux, cela prend toujours du temps, cependant, les synergies existent.

    Quant à ton premier point… nous pensons que ce premier rapprochement n’est un prélude à un accord plus vaste : un prochain article évoquera cette question, je te propose de poursuivre le débat lorsque nous l’aurons publié.

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