Taxer les FAI pour financer la presse, une mauvaise réponse à une vraie question

La crise que traverse la presse écrite ne fait aucun doute: chute des revenus publicitaires, baisse des achats en kiosque et des abonnements, et plans sociaux jusque dans des titres aussi connus que Le Monde ou Le Figaro.

Face à cette crise, une idée lumineuse vient de germer chez les dirigeants de Libération, Nathalie Collin, coprésidente du directoire du quotidien d’Édouard de Rothschild, qui l’a exposé au Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) le 2 juin, et Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération.

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Image EleART (Flickr) sous licence CC paternité

Le principe serait de prélever un « très faible pourcentage » du chiffre d’affaires des fournisseurs d’accès. Les montants recueillis iraient aux rédactions selon leur effectif et leur audience sur le Web. Nathalie Collin indique que leur chiffre d’affaires annuel est de 42 milliards d’euros, contre 840 millions d’euros pour la presse. Selon la formule de Laurent Joffrin, « Il s’agit de rectifier les flux d’argent actuels au profit des rédactions, qui sont les auxiliaires du bon fonctionnement de la démocratie».

Une nouvelle taxe après celle sur l’audiovisuel public…

Cette idée de taxer les FAI arrive après la réforme du financement du service public de l’audiovisuel, qui par la loi du 5 mars 2009 (parue au J.O. du 7 mars 2009) compense la suppression de la publicité sur les chaînes publiques: une taxe de 0,9% sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications, ce qui rapporterait 380 millions d’euros. Ce prélèvement doit compenser pour l’Etat, avec également une nouvelle taxe de 3% sur les recettes publicitaires des chaînes de télévision privées, la suppression de la publicité sur les chaînes publiques.

Selon Nathalie Collin, « il y a un intérêt commun des internautes, des éditeurs de presse, mais je pense aussi des fournisseurs d’accès à ce qu’on arrive à trouver un financement » pour les sites web « qui s’appuient sur des rédactions papiers qui elles mêmes s’appuient sur un vecteur qui perd du chiffre d’affaires d’année en année ».

.. qui ne profiterait qu’aux plus gros

Double hic: les plus gros capteraient ainsi les plus gros financements, et seuls les sites web rattachés à des journaux imprimés bénéficieraient de cette nouvelle aide. Ce serait une distorsion de concurrence pour les « pure players », comme Rue89, Mediapart et autres, qui fait tiquer par exemple le site Numerama: ce dernier avait déjà critiqué « le fonctionnement du fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne distribué sous la tutelle de Matignon et du ministère de la Culture, qui donne aux poids lourds de la presse écrite un avantage concurrentiel pour s’installer sur Internet, où les nouveaux acteurs de la presse n’ont bénéficié d’aucune aide ».

Entre autres critiques, Numerama se demande « quelle preuve a été faite que les rédactions de la presse écrite traditionnelle sont « les auxiliaires du bon fonctionnement de la démocratie » ? Faut-il être culotté et imbu de sa profession pour oser écrire que les blogs, les internautes, la société civile dans son ensemble, à l’heure où tous ses membres sont connectés et peuvent communiquer ensemble, ne sont pas les premiers auxiliaires du bon fonctionnement de la démocratie. »

Le fâcheux exemple du lundi de Pentecôte

Ajoutons que les règles habituelles de non-affectation de l’impôt ne rendraient pas simple l’attribution de la taxe proposée par les dirigeants de Libération. On se souvient de feue la vignette automobile, et plus récemment, du lundi de Pentecôte travaillé créé par le gouvernement Raffarin après la canicule de 2003 au profit des personnes âgées. Les fonds drainés par la « journée de solidarité » de Pentecôte servent selon le président de l’ADPA (Association des directeurs au service des personnes âgées) Pascal Champvert « à d’autres fins que ce à quoi ils étaient destinés au départ ». Il parle de 700 millions d’euros « totalement évaporés ».

De même « d’importants crédits restent inutilisés et ne sont pas traduits en prestations de soin », a dénoncé en mars la Fédération hospitalière de France (voir cet article de Lexpansion.com).

La presse écrite est en proie à des difficultés indéniables. Doit-elle pour autant lever un nouveau prélèvement obligatoire sur les abonnés télécoms? Le prix largement supérieur aux autres pays des quotidiens français, leur circuit coûteux de fabrication et de distribution, ne seraient-ils pas plus à examiner pour passer l’obstacle du passage au numérique et de la baisse publicitaire?

Enfin n’oublions pas que chaque fois qu’on modifie un modèle économique, que l’on altère une réglementation, on donne un à-coup, qui impose à l’opérateur de réagir. Or ses variables d’ajustement, ce sont toujours les salaires et les emplois. La rentabilité pour les actionnaires n’est, elle, pas touchée en raison des contraintes des marchés financiers.

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