La décision de l’Arcep le 22 juin sur le déploiement de la fibre optique a tout pour satisfaire les concurrents de France Télécom. Reste à savoir si ce sera au bénéfice des consommateurs: le risque n’est pas négligeable de voir gelé le déploiement de la fibre et donc du très haut débit en raison des incertitudes économiques qu’engendre le choix du régulateur.
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Qu’a décidé l’Arcep? Dans les zones denses, c’est-à-dire les plus grandes villes de France qui offrent le meilleur potentiel de rentabilité, lorsqu’un opérateur sera choisi pour équiper un immeuble de plus de 12 logements, il devra tirer, jursqu’aux appartements, une fibre supplémentaire pour chaque opérateur concurrent qui le demandera, jusqu’à concurrence de 4 fibres par logement.
Selon le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani, dans une interview aux Échos, sur les 5 millions de foyers concernés, « 3 millions habitent dans des immeubles de plus de 12 logements ou accessibles via un réseau d’assainissement comme à Paris. » « Dans cette zone, les investissements nécessaires, à l’extérieur et à l’intérieur des immeubles, se situent entre 3 et 4 milliards d’euros. »
Un surcoût de 5% ou 40%?
Le président de l’Arcep affirme qu’ « installer plusieurs fibres implique un surcoût de l’ordre de 5% de l’investissement total, à la charge de l’opérateur qui le demandera. Ce sont des infrastructures qui serviront pour les cinquante prochaines années. Se priver de la liberté de choix de l’opérateur pour une différence de coût aussi faible serait totalement déraisonnable. Les recommandations européennes vont dans le sens du modèle proposé par l’Arcep. L’intérêt général, ce n’est pas l’intérêt d’un seul opérateur. »
L’estimation de l’Autorité de régulation ne correspond pas à celle de France Télécom, exposée par son PDG Didier Lombard dans Le Figaro juste avant l’annonce de l’Arcep: « Au sein des immeubles, l’évidence économique, l’intérêt général, mais aussi le confort des propriétaires et des locataires ont conduit tous les pays qui ont déjà déployé des réseaux à opter pour la solution dite «monofibre». Cette solution permet en effet d’optimiser le coût économique global de l’infrastructure, le surcoût des solutions alternatives (dites «multifibres») pouvant atteindre 40 %, sans aucun service ou débit supplémentaire. Pour un même montant d’investissement, cela aboutirait à une couverture drastiquement réduite du territoire. »
Risques contentieux et gel des investissements
Dans cette situation, France Télécom a indiqué être contraint de geler ses investissements en fibre. « Compte tenu de ce qui a été présenté comme quasi-définitif par Jean-Luc Silicani lui-même et des risques d’action contentieuse que cela sous-tend, nous ne pouvons pas prendre le risque aujourd’hui de continuer à déployer du monofibre », a indiqué à l’AFP une porte-parole de France Télécom. « Par ailleurs nous ne savons pas déployer du multifibre: nous n’avons ni l’équation économique ni le savoir-faire pour déployer cette technologie. »
Quelle visibilité économique?
Au-delà de la querelle sur le surcoût d’un déploiement multifibre – qui cependant augure mal des arbitrages potentiels en cas de différends sur le montant demandé par l’opérateur d’immeuble aux opérateurs commerciaux souhaitant bénéficier d’une fibre dédiée -, cette décision pose deux problèmes à France Télécom :
- une incertitude économique forte, car il ne peut savoir à l’avance si ses concurrents demanderont à disposer d’une fibre dans les immeubles dont il sera l’opérateur, s’il sera bien payé et à quel tarif, et surtout combien de foyers seront in fine ses clients pour lui permettre de rentabiliser son investissement. Certes, ses concurrents seront logés à la même enseigne lorsqu’ils seront eux-mêmes opérateurs d’immeubles, mais ce rôle lui échoira plus souvent compte tenu de sa position de leader sur le marché du haut débit et de sa capacité d’investissement ;
- avec de telles règles, on a toutes les chances pour que les opérateurs alternatifs laissent France Télécom aller « au charbon » pour démarcher les copropriétés, ce qui est une lourde et coûteuse tâche comme l’ont montré les expérimentations menées jusqu’ici, et s’engouffrent à sa suite avec d’autant plus de latitude pour casser les prix qu’ils auront minimisé leur investissement.
Dans un contexte d’économie capitaliste où France Télécom est lui aussi logé à l’enseigne du profit obligatoire, on comprend que l’opérateur historique décide de geler ses déploiements. Il est dans ce cas peu probable que les opérateurs alternatifs s’exposent à ouvrir le marché. La fibre pourrait donc être bloquée en France jusqu’à un nouveau choix de régulation, et nous risquons de prendre un retard historique.
Le dogme de la concurrence… et l’absence de financement national
Il semble malheureusement que le nouveau président de l’Arcep ait une connaissance très approximative du secteur des télécommunications et des services de réseaux. Sa préoccupation semble plutôt d’être « dans le sens des recommandations européennes », qui veulent à toute force soumettre les télécommunications au dogme de la concurrence. Quitte en l’espèce à risquer de briser l’essor du haut débit.
Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC chez France Télécom – Orange, interrogé par Itespresso, souligne que « dans les débats actuels, la décision de l’ARCEP insécurise les investissements de France Télécom dans la fibre. Cela entraîne du retard et cela obère la croissance et l’emploi, »
On peut également constater que le volontarisme français « cale » face aux besoins réels: Roland Montagne, de l’Idate, souligne dans une interview à L’Expansion qu’en France, il n’y a pas « de plan national de financement. Le coût de 10 à 11 milliards pour connecter 40% de la population sera assumé essentiellement par les opérateurs. (…) A titre d’exemple, le gouvernement australien a prévu de mobiliser l’équivalent de 25 milliards d’euros pour développer la fibre optique auprès de 90% des foyers, avec un réseau d’une vitesse de 100 mégabits. »
L’État français a-t-il vraiment pris la mesure des enjeux, alors même qu’il est plus urgent que jamais de préparer aujourd’hui les investissements qui nous permettront demain de sortir de la crise?