Les limites de la concurrence dans les télécoms

Le Monde daté du 20 septembre publie un article d’Olivier Voirin (DuVarroy Consulting), qui expose de manière claire des concepts souvent oubliés lorsqu’on ne voit les télécoms que sous l’angle dogmatique de la concurrence. Cette vision dogmatique est également populiste, en ce sens qu’elle donne une vision simpliste des règles de fonctionnement du marché des télécoms, en faisant l’impasse sur l’une des données clefs du métier d’opérateur : le fait qu’il s’agit d’une activité essentiellement basée sur les coûts fixes, avec des niveaux d’investissement élevés, qui nécessitent donc de sécuriser les ressources des opérateurs.

Toute la démonstration est intéressante, l’un des paradoxes soulevés par les conclusions du papier est particulièrement croustillant… ou déplorable, selon le point de vue qu’on adopte :

Aucun des nouveaux acteurs du fixe n’a investi de façon significative dans la partie terminale du réseau, considérant que le prix du dégroupage de la ligne cuivre offrait une opportunité bien plus intéressante. La conséquence de cette situation est qu’aucun des acteurs actuels ne dispose des ressources pour mettre en place le réseau du futur, la fibre, en remplacement de la paire de cuivre. Ni l’opérateur historique qui ne dispose ni des ressources venant de ses clients résidentiels du fait de la baisse des prix, ni de celles de la vente en gros en raison des prix orientés vers les coûts du dégroupage et des tarifs d’interconnexion, ni ses concurrents qui pour acquérir des parts de marché ont fixé leur niveau de prix (30 euros) au minimum. Le marché s’est ainsi équilibré à un niveau de prix qui ne permet pas la modernisation des réseaux. La conséquence est paradoxale : l’ouverture à la concurrence, avec des contraintes réglementaires asymétriques portant uniquement sur le propriétaire du réseau, d’une activité dynamique, rentable, d’un intérêt social et économique évident, pour laquelle dans les années 1990 la France disposait d’acteurs industriels puissants, a eu comme conséquence de créer une situation dans laquelle aucun des acteurs n’est capable de financer l’infrastructure sur laquelle il peut développer son service sans le secours de la puissance publique, au niveau local ou national.

Selon nous, il manque un élément d’analyse, tout aussi paradoxal : concernant l’opérateur historique, le montant exorbitant du dividende (supérieur au bénéfice consolidé pour l’exercice 2009 rappelons-le, tandis-que l’engagement de maintenir le niveau du dividende pour les 3 prochains exercices, 2010-2012, privera l’entreprise de 11 milliards d’euros de fonds propres) contribue à l’asphyxie de ses capacités d’investissement dans les nouveaux réseaux.  Le niveau aberrant de ce dividende est pour l’essentiel le fait de … l’État, actionnaire principal (27% du capital), et dont on sait qu’il cherche désespérément à renflouer ses caisses, et fait pression sur le Conseil d’Administration de France Télécom pour s’assurer des recettes. Pour financer le déploiement du réseau de fibre ? et redistribuer aux concurrents une partie du CA de l’opérateur historique, lui aussi soumis à la concurrence ?

Étonnant, non ?

A lire :

4ème licence mobile : une régulation socialement irresponsable

Comme on pouvait s’y attendre, Free sera finalement le seul candidat à la 4ème licence mobile, et l’Arcep rendra sa décision avant Noël, ou tout début 2010. Si chef de l’État s’est montré « réservé » sur le dossier, Monsieur Silicani, actuel président de l’Arcep, revendique haut et fort l’indépendance du régulateur français dans sa validation ou non du dossier d’Iliad/Free.

Il va sans dire que cette décision sera analysée à la loupe par l’ensemble des observateurs.

Leyla Insane
Leyla Insane

image: Katey (Flickr) sous licence CC by – nc – nd

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France Télécom: un cas d’école dans un système mortifère

Sur Mediapart, le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval reviennent à travers l’affaire France Télécom sur la fabrique du «sujet néolibéral» et ses effets.

Quelques extraits pour vous mettre l’eau à la bouche :

Périodiquement on redécouvre, pour l’oublier bien vite, que quelque chose « ne tourne pas rond » dans le monde du travail. Les suicides en série au Technopôle de Renault ne sont pourtant pas si lointains.. Sociologues et psychanalystes ont longuement décrit et analysé les diverses formes prises par la « crise du travail ». Mais « la souffrance au travail » dont on parle beaucoup aujourd’hui ne tombe pas du ciel, elle ne relève pas seulement d’un traitement thérapeutique en forme d’ « accompagnement psy », elle résulte avant tout de pratiques et de dispositifs qui ont profondément modifié l’organisation des entreprises et les relations professionnelles.

A cet égard, le cas de France Télécom – qui s’appellera bientôt Orange pour faire oublier son ancrage national- est tragiquement exemplaire. Voici une entité qui est passée en quelques années de l’univers du monopole de service public à celui de la multinationale de plain-pied dans le capitalisme mondialisé et financiarisé. Cela s’est fait à coup de changements de statut, d’ouvertures du capital  et de privatisations menés par tous les gouvernements de droite comme de gauche depuis 1990. L’histoire de France Télécom, c’est en réduction et en caricature,  l’histoire du déploiement implacable d’une logique de concurrence généralisée qui fait se rejoindre les horizons les plus lointains des marchés globalisés et les subjectivités les plus intimes des salariés. France Télécom  c’est donc notre histoire collective qui se lit dans l’histoire d’une entreprise et de ses salariés. Pour tout dire, on a là affaire à un cas d’école de l’expérimentation néolibérale.

Une analyse remarquable et bien argumentée, à lire en intégralité sur Mediapart.

La négation de tous les médiateurs sociaux dans l’entreprise : une politique dévastatrice et délibérée chez France Télécom

Alors que de nombreux médias, et de nombreux français, s’interrogent sur la vague de suicides chez France Télécom, se demandant « comment on a pu en arriver là », on entend ça et là une remise en question des syndicats, qui « n’auraient pas été présents » pour accompagner les salariés et éviter la dégradation dramatique des conditions de travail dans l’entreprise.

Un mécanisme pervers articulé en trois temps

L’examen approfondi de la situation met en évidence une réalité beaucoup plus grave. Les méthodes de gestion de l’entreprise, entièrement calées sur une « culture du chiffre », où l’on ne s’intéresse plus qu’aux cours de bourse et aux indicateurs qui permettront de satisfaire l’exigence, exorbitante, des marchés financiers, a totalement mis de côté le facteur humain. L’idéologie du capitalisme financier semble avoir trouvé au sein de France Télécom un lieu de mise en application de ses fantasmes les plus fous. Sébastien Crozier l’exprime dans une récente interview à itexpresso : « A l’instar de Serge Tchuruk, ex-P-DG d’Alcatel, qui voulait faire une entreprise sans usines, la direction de France Télécom veut faire d’Orange une marque sans salariés ».

Il s’agit donc de marginaliser la parole des personnels en appliquant une politique de déni, qui évacue les alertes syndicales, neutralise les médecins du travail, et supprime les ressources humaines de proximité.

Cones on Steps
Cones on Steps

Image hey mr glen (Flickr) sous licence CC by-nc

On peut ainsi se concentrer sur l’objectif : comprimer chaque année davantage le nombre de salariés, pour améliorer le fameux « cash-flow », que le Conseil d’Administration dédie pour moitié au versement de dividendes. Continue reading « La négation de tous les médiateurs sociaux dans l’entreprise : une politique dévastatrice et délibérée chez France Télécom »

Pied de nez à l’idéologie libérale en Angleterre: fusion entre Orange et T-Mobile

France Télécom et Deutsche Telekom viennent d’annoncer leurs négociations exclusives pour signer d’ici la fin octobre la fusion en Grande-Bretagne de leurs filiales Orange UK et T-Mobile UK. L’ensemble réunissant les numéros trois et quatre de la téléphonie mobile deviendrait ainsi numéro un outre-Manche. La future marque unique Orange, achetée 50 milliards d’euros en 2000 par France Télécom, comptera ainsi 28,4 millions de clients, soit 37% du marché anglais du mobile, devant l’actuel leader O2 (27,7%) et Vodafone (24,7%), indique l’AFP.

Cabines dominos
Cabines dominos

Image doug88888 (Flickr) sous licence CC by

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Réforme des services publics: dogmatisme et laboratoire de changement du statut des salariés

Engageant une réflexion sur l’évolution du statut de La Poste, Mediapart livre une analyse très intéressante, tant sur le dogmatisme de la privatisation des services publics…

Alors que l’argent public a servi ces derniers mois à soutenir, pour le « Bien commun », les banques privées en difficulté, il est désormais nécessaire de privatiser les services publics qui ne l’ont pas encore été, c’est-à-dire de créer les conditions juridiques et économiques de l’appropriation des biens publics. Comme si la crise et les « solutions » qui lui sont apportées n’avaient pas suffi à démontrer les insuffisances, les contradictions et les dangers de l’administration privée des biens communs – son incapacité, en l’état, à œuvrer à long terme dans l’intérêt général – elle sert aujourd’hui de prétexte pour s’attaquer à l’un des bastions de la fonction publique française.

… que sur les conséquences en matière de conditions de travail dans l’ensemble des entreprises françaises. Après une analyse des effets de l’introduction de nouvelles « méthodes de travail » à La Poste et chez France Télécom, l’article conclut de manière inusitée sur l’évolution du statut du salariat en France, qui appelle à une extrême vigilance:

La réforme de La Poste offre de nombreux points de comparaison (dont l’analyse doit être approfondie) avec celle de France Telecom et avec les réformes en cours dans l’ensemble de la fonction publique. Avec ces réformes, l’introduction des « méthodes de management » et de « gestion des ressources humaines » semble dépasser, par leurs effets sur les salariés, ce qui avait été observé jusqu’alors dans le secteur privé d’où elles viennent. Il se pourrait même que certaines de ces transformations, notamment la « mobilité » des fonctionnaires, soient expérimentées dans la fonction publique, laboratoire des conditions de travail de demain. Cette « mobilité », ce flou des statuts rappellent en effet la flexibilité des travailleurs tant invoquée, souhaitée et appelée à se développer ces dernières années. Elles entrent en écho avec l’adoption récente d’un projet de loi qui donne la possibilité aux entreprises de prêter leurs « ressources humaines » – une pratique qui avait été interdite en France en même temps que l’esclavage il y a presque 200 ans. Ces transformations imposent de se demander si les conditions de vie et la liberté des salariés sont un bien commun inaliénable ou non. Avec ces réformes, les citoyens sont placés face à un choix profond de société qui engage leur responsabilité les uns par rapport aux autres.

Un article à lire in extenso et sans modération sur Mediapart.