Licenciements: quand la violence sociale amène des ripostes désespérées

La montée des licenciements, et surtout l’absence d’avenir social qui pèse sur les futurs licenciés, s’accompagne de plus en plus régulièrement de menaces de destruction – on n’en est cependant pas au degré de violence physique récemment observé en Chine, où un cadre a été lynché à mort par les ouvriers de l’usine sidérurgique auxquels il annonçait une vague de licenciements.

Bonbonnes de gaz
Bonbonnes de gaz

Image _boris (Flickr) sous licence CC by-nc-sa

Menaces de faire exploser une usine: la moitié des Français comprennent sans approuver

Le 31 juillet, les salariés de l’équipementier automobile New Fabris ont accepté la prime de départ de 12.000 euros qui leur était proposée, et ont abandonné leur menace de faire exploser leur entreprise, à Châtellerault (Vienne). Quelques jours plus tôt, leur stratégie « de la bonbonne de gaz » avait été reprise par des salariés de Nortel, à Châteaufort (Yvelines), qui y ont trouvé de guerre lasse le moyen de capter enfin l’attention des médias et du ministre de l’Industrie Christian Estrosi, alors que leur grève depuis le 6 juillet passait inaperçue.

Et un peu partout (Servisair, Michelin etc.) ont eu lieu ces dernières semaines des séquestrations de dirigeants. Des menaces « en dernier recours » que les Français comprennent, selon un sondage Ifop publié par L’Humanité: 50% des sondés comprennent sans les approuver les menaces de faire exploser son entreprise, de même que 62% comprennent sans les approuver les séquestrations de patrons.

« Un conflit désespéré »

Dans Le Monde, le sociologue Jérôme Pélisse parle de « conflit désespéré » dans le cas de New Fabris, en soulignant que « là, les salariés ont manifestement intégré qu’ils auraient beaucoup de mal à retrouver un emploi ».

« Dans ces conflits, explique-t-il, les salariés disent : « Si les patrons veulent fermer la boîte, qu’ils le fassent mais qu’ils payent un maximum. » Ils ont intégré que l’emploi était perdu, et ils veulent s’assurer pour un avenir incertain. En clair, ils veulent des sous pour vivre, et pas des grands discours sur le reclassement ou la formation professionnelle. Pour eux, ces injonctions au changement invalident leur expérience professionnelle, nient la qualité de leur travail, et même, pour certains, leur raison d’être. »

Banderole à Ury (77)
Banderole à Ury (77)

Photo Lemoox (Flickr) sous licence CC by-nc : conflit chez Nina Ricci où une délocalisation menace

Guy Groux, directeur de recherche au Centre d’études de la vie politique française (Cevipof), rappelle dans Le Point que « le scénario de la menace d’explosion d’usine a déjà existé en 2000 chez Cellatex où les ouvriers concernés par un licenciement menaçaient de polluer un affluent de la Meuse ». Mais il relève que la récente radicalisation de conflits sociaux montre «  un certain désespoir de salariés confrontés à des fermetures de sites ou à des plans de licenciements dans une situation économique où les chances de retrouver un emploi sont beaucoup plus difficiles que celles qui pouvaient exister il y a quelques années ».

La menace d’un chômage irrémédiable

Les fermetures d’usines comme pour New Fabris sont en effet pires qu’une « simple » mise au chômage: le message sous-jacent, qu’entendent parfaitement les salariés condamnés, c’est « vous ne retrouverez pas d’emploi jusqu’à la retraite ». Qu’on se souvienne des milliers de salariés – souvent des employées – de Moulinex, « liquidés » avec l’entreprise, qui pour bon nombre n’ont jamais retrouvé de travail.

Les femmes de l’usine Aubade, dont l’activité a été progressivement délocalisée en Tunisie et en Asie, s’attendent à vivre le même destin, avec 47 ans de moyenne d’âge et un bassin d’emploi où toutes les entreprises ont progressivement fermé. Elles n’excluaient pas de brûler l’usine si elles n’obtiennent pas de quoi vivre décemment jusqu’à leur retraite. Notons cependant que le plan social chez Aubade a heureusement été suspendu en référé le 24 juillet par le TGI de Poitiers, qui a observé notamment que « l’employeur s’efforce de museler les représentants des salariés en les privant de l’élaboration conjointe de l’ordre du jour des réunions d’information sur l’avenir de l’entreprise ».

On le sent bien dans l’extrême sensibilité de ces conflits: par-delà la question de l’argent (un salarié de New Fabris cité par Sud-Ouest le dit, « « 12 000 euros, c’est quoi ? Même pas un an de salaire. Et derrière, ce sera le chômage et peut-être même la gamelle dans la rue »), c’est la question de la dignité et du sens qui est posée dans ces conflits, où des licenciés se battent contre la destruction de leur valeur sociale.

Une réponse au mépris

Les manifestations extrêmes de ces derniers temps réapparaissent actuellement, selon le sociologue Norbert Alter, interrogé par Le Monde, « parce que les primes patronales illégitimes exacerbent chez les salariés l’idée que l’on est dans une société de classes ». « Ce n’est pas tant la faiblesse des rémunérations, mais cette différence de traitement qui est en cause », selon le sociologue pour lequel « cette violence est une réponse au mépris. »

Il estime que « cette violence est aussi une conséquence de la non-reconnaissance de tout ce que les salariés ont pu donner à leur entreprise ». « Celui qui a donné se sent alors offensé, renié, explique-t-il. Beaucoup de salariés donnent sans obtenir de reconnaissance. Et, en haut de la hiérarchie, ils estiment que certains volent. »

Que veut-on faire de la France ?

Alors qu’en 2007, Nicolas Sarkozy énonçait « Je veux être le Président de la valeur travail », on voit que les réponses politiques actuelles tendent plutôt à son éradication, la crise économique ne servant souvent que de prétexte à l’accélération d’un phénomène surtout lié à la mondialisation et au capitalisme financier.

L’infâme scénario semble se répéter de manière quasi systématique. On commence par demander aux salariés plus de flexibilité, tant dans les postes occupés que sur les horaires et les méthodes de travail, afin d’augmenter la productivité. La plupart des salariés s’y investissent, car ils souhaitent que leur entreprise vive, et dans un premier temps, croient sincèrement que leurs efforts pourra la pérenniser. Jusqu’au moment où on leur demande de transférer leur savoir-faire à des salariés de pays étrangers, comme chez HP ou Aubade, avant de les licencier, après délocalisation complète de leur activité dans des pays à bas salaires.

Des délocalisations qui détruisent les économies

De plus en plus d’activités sont désormais susceptibles de délocalisation, et on peut légitimement s’interroger sur le devenir des sociétés occidentales si un rééquilibrage n’intervient pas rapidement. Certes, l’évolution du niveau de vie dans les pays aujourd’hui en développement comblera progressivement les écarts, mais cela prendra du temps, suffisamment pour que les économies occidentales soient totalement déstructurées, voire détruites dans l’intervalle.

Et lorsque ces écarts seront comblés, comment fonctionnera une économie dont les profits exponentiels sont réalisés en produisant dans les pays à bas coûts pour vendre dans les pays à hauts revenus ?

Aujourd’hui, il est peu probable que les salariées tunisiennes d’Aubade puissent s’offrir en boutique la lingerie qu’elles produisent. Bientôt, les femmes françaises ne le pourront plus non plus. Il est plus que temps de se reposer les bonnes vieilles questions d’Henry Ford…

Les actionnaires sont-ils prêts à abandonner une partie de leurs dividendes pour que nos économies survivent ? Ou faudra-t-il attendre que des salariés licenciés excédés les aient tous lynchés ?

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