LOPPSI 2 : un projet de loi nuisible et inutile

Sécurité... illusoireImage : B. Tal (Flickr) sous licence CC by-nc

Des hommes et femmes politiques de tout bord accusant Internet de tous les maux (Internet «envahi par toutes les mafias du monde» selon une formule célèbre), c’est un grand classique. Mais le projet de loi Loppsi 2, actuellement examiné au Sénat, est un festival d’incompétence, où au nom du tout-sécuritaire ce texte fourre-tout met à mal des principes fondamentaux, notamment en matière d’Internet, avec le blocage annoncé des sites au nom de la lutte contre la pédo-pornographie.

La censure est-elle digne d’une démocratie?

Filtrer le Web? L’Australie l’a fait. Résultat : des milliers de sites en aucune façon pédophiles ont été abusivement rangés dans les listes noires et rendus inaccessibles.

Techniquement, c’est parfaitement possible: l’exemple sans état d’âme de la Chine le démontre. La France veut-elle s’en inspirer? C’est ce que pointent certains médias: «Les dictateurs en ont rêvé», pendant que la CNIL s’inquiète de nouvelles collectes de données personnelles à l’insu des utilisateurs, sans maîtrise de leur détention et de leur exploitation, ni utilité avérée en terme de lutte contre la criminalité.

Dans un pays qui se réclame des droits de l’Homme, on peut à juste titre s’inquiéter d’une dérive policière, qui considèrerait la confidentialité des échanges privés et la liberté d’expression comme accessoires, et le contrôle de la légalité par un juge indépendant comme une sornette. Ces deux principes ne constituent-ils pas les fondements même de la démocratie?

Filtrer le Web: une mesure contre-productive qui protègerait surtout… les délinquants

Dangereuse sur le principe, la volonté de filtrage d’Internet de la Loppsi 2 pose en outre un réel problème d’efficacité en particulier face à la pédo-pornographie, souvent mise en avant pour justifier le blocage a priori des sites. Loppsi.fr, un site qui suit l’évolution du projet de loi depuis ses débuts s’interroge « Les professionnels du Net s’accordent à dire qu’il n’y a pas de sites ou de photos pédophiles sur le Web […] Alors à quoi bon faire une liste noire des sites pédophiles? Pour protéger qui? ». Des experts légaux et des gendarmes ont démontré que le filtrage était une mauvaise réponse contre la pornographie enfantine.

Changements d’adresse express, reroutages, les contournements sont monnaie courante pour déménager rapidement des contenus illégaux. Filtrer les sites, c’est inefficace. La Loppsi ne vise-t-elle qu’un effet d’affichage? Bloquer un site ne l’empêche pas d’exister (il restera accessible depuis d’autres pays par exemple), alors qu’une action concertée de police pourrait y mettre fin définitivement. Pourquoi ne regarde-t-on pas, plutôt que vers la Chine ou l’Australie, du côté de l’Allemagne, où la lutte à la source semble autrement efficace?

Une charge financière supplémentaire pour les fournisseurs d’accès

Vue des opérateurs, auxquels l’État demandera de bloquer des sites, l’opération suppose des dispositifs techniques, des ressources humaines et du temps, donc de l’argent. Or, on l’a déjà vu avec Hadopi (70 millions d’euros par an pour les FAI), qui n’a rien réglé pour l’indemnisation des FAI. Xavier Niel, le fondateur de Free, a critiqué à juste titre Hadopi, qui transfère aux opérateurs Internet des missions et des coûts qui ne sont pas de leur périmètre légitime d’intervention.

Inefficace contre la cyber-criminalité, la Loppsi 2 serait en revanche d’une toxicité avérée contre la démocratie et le libre fonctionnement d’Internet, tout en créant de dangereux précédents vers une société de surveillance des citoyens. La presse internationale s’est émue depuis plusieurs mois des aspects liberticides du projet de loi français.

C’est pourquoi la CFE-CGC & l’UNSA Télécoms appellent les parlementaires qui examinent la Loppsi 2 à en refuser les dispositions inutilement liberticides, et l’ensemble des citoyens à être particulièrement vigilants. La cyber-criminalité se combat à sa source. Sa réelle disparition du Web ne peut provenir que de sa destruction à la racine. En l’état, voter la Loppsi2, c’est comme jeter une couverture sur un brasier: une illusion temporaire.

Vie privée et identité numérique: une proposition de loi en attendant mieux

Une proposition de loi « visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique» a été déposée par plusieurs sénateurs, et adoptée par la Chambre haute, en attendant de passer au filtre des députés – le gouvernement serait peu favorable à cette proposition.

Vie privée
Vie privée

Image de fredpallu (Flickr) sous licence CC by-nc-sa

Ce texte, s’il est adopté en l’état, imposera aux sites Internet un droit à l’oubli en les obligeant à effacer toutes les données personnelles d’un utilisateur, sur simple demande. Mais cette proposition de loi ne va pas très loin, face à l’ampleur du problème: quelle maîtrise avons-nous de nos données, de ce qui est fait de nous sur la bien-nommée Toile? Continue reading « Vie privée et identité numérique: une proposition de loi en attendant mieux »

Les sénateurs ouvrent un blog sur le mal-être au travail

Actu express: le Sénat a créé fin novembre, dans le cadre de sa commission des Affaires sociales, une mission sur le mal-être au travail, à la suite en particulier de l’épidémie de suicides à France Télécom.

Cette mission, qui doit rendre en juin ses préconisations, a ouvert récemment un blog sur le sujet: il permet de voir et de commenter les vidéos d’auditions par la mission.

Blog de la mission mal-être au travail du Sénat

Rappelons qu’un forum sur le stress, «Réagir ensemble», a été créé par deux syndicats de France Télécom-Orange, et que comme pour l‘Observatoire du stress, son accès est censuré depuis les connexions Internet internes chez France Télécom.

A lire aussi

Facebook modifie ses règles de confidentialité… et les photos du PDG deviennent publiques

Actu express: le réseau social Facebook a modifié la semaine dernière le paramétrage des données des utilisateurs. Par défaut, les photos, textes etc. sont partagés avec tous – moyennant accord de l’utilisateur, auquel plusieurs fenêtres de dialogue demandent de régler ses paramètres quand il se connecte pour la première fois depuis la modification interne.

Ironie de l’histoire, le propre PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, s’est semble-t-il embrouillé dans ses réglages, et près de 300 de ses photos auparavant privées sont devenues publiques. Pas longtemps, puisque peu de temps après il a modifié leurs règles de confidentialité, en restreignant à nouveau l’accès.

Le chef des services secrets anglais piégé par Facebook
Le chef des services secrets anglais piégé par Facebook

Mais si même le fondateur du réseau aux 350 millions d’utilisateurs s’est laissé piéger par la complexité de la manœuvre, on n’ose imaginer les difficultés d’utilisateurs lambda…

Une expérience menée par l’éditeur Sophos a montré il y a quelques jours que les internautes communiquent très facilement leurs données personnelles sur Facebook, se fiant à l’apparence de profils amicaux.

Le chef de James Bond en maillot de bain sur la plage

En juillet dernier, le futur patron des services secrets anglais (le MI6), John Sawers, voit ses photos personnelles (famille, amis, photos de vacances à la plage…) dévoilées dans le journal Mail on Sunday: sa femme les avait publiées en mode « visible » sur Facebook. Elles ont été retirées immédiatement, mais l’image de secret du dirigeant des « vrais » James Bond n’en est pas sortie intacte.

En février, Facebook avait changé unilatéralement ses conditions d’utilisation, s’attribuant une licence perpétuelle sur les contenus postés dans le site par ses utilisateurs. La révolte de ces derniers avait obligé l’entreprise à faire très vite machine arrière.

L’Alerte Enlèvement bientôt diffusée sur téléphones mobiles

Actu express: les utilisateurs de smartphones de tous types ( i-Phone, Androïd, Blackberry, Windows Mobile…) pourront d’ici la fin de l’année recevoir les messages de l’Alerte Enlèvement sur leur téléphone mobile. C’est ce qu’annonce la fondation Casques Rouges, qui indique avoir remporté l’appel à projets lancé par la secrétaire d’État à l’Économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet.

Alerte Enlèvement, le logo
Alerte Enlèvement, le logo

«Dès que l’alerte sera déclenchée, les utilisateurs ayant téléchargé l’application [NB: il s’agira donc d’opt in, et non d’un envoi systématique à tous les téléphones mobiles comme certains articles de presse ont pu le faire croire] recevront une notification d’alerte sur leur portable et disposeront simultanément du signalement de l’enfant disparu. Les utilisateurs pourront ensuite participer aux recherches en témoignant par téléphone, SMS ou e-mail», annonce la fondation.

Le dispositif Alerte Enlèvement a été créé en France en février 2006, sur le modèle de l’alerte AMBER aux Etats-Unis. La FAQ de cette dernière indique qu’outre-Atlantique, il y a 200 à 250 alertes AMBER par an – mais chaque inscrit ne reçoit que les alertes correspondant aux régions qu’il a indiquées en s’inscrivant. En France, le dispositif a été employé huit fois en trois ans.

Pour Hondelatte & co sur RTL, les suicides dans l’entreprise ne sont pas l’affaire des syndicats

Suicides à France Télécom selon RTL: «Syndicats, circulez, y a rien à voir»: sous ce titre éloquent, Grégory Salle, de l’association Acrimed (Action-critique-médias) rend compte d’un « débat » de quelques minutes sur RTL le 8 septembre. Dans « On refait le monde » de Christophe Hondelatte, la fin de l’émission a été consacrée ce jour-là aux suicides à France Télécom, et au rôle des syndicats.

Un festival de sous-café du commerce, lancé par un Hondelatte qui questionnait: « il y a eu 22 suicides depuis janvier 2008, dont 6 suicides depuis mi-juillet sur l’ensemble des personnels France Télécom. Avec un débat qui a quand même fait douter certains syndicats : est-ce qu’on peut faire un usage revendicatif de ces suicides, est-ce que ces suicides ont des explications liées aux conditions de travail, est-ce qu’on peut s’emparer syndicalement, politiquement d’ un suicide pour en faire un combat syndical ? »

Le débat commençait bien (« s’emparer », « un » suicide, pour un peu les syndicats étaient les responsables…), la suite, avec Jean-Luc Mano, Alain-Gérard Slama, Anne-Sophie Mercier et Ivan Rioufol, fut ce qu’on pouvait en attendre avec pareil lancement.

Dans ce défilé de propos douteux voire d’une mauvaise foi caricaturale, tout est à lire dans l’article d’Acrimed. Signalons juste ces deux fleurons:

– « Il y a quand même quelque chose qui ne tourne pas rond,  et je trouve que France Telecom de toute façon pousse un petit peu trop ses tarifs » (Alain-Gérard Slama).

– « Moi je ne pense pas qu’on puisse en faire un, moi non plus je vois pas comment on peut en faire un combat syndical, c’est trop complexe, trop intime, trop délicat. En revanche, il peut y avoir une réflexion sur des méthodes de management qui peuvent être particulièrement atroces de la part de petits chefaillons (…) Peut-être qu’il y aurait une réflexion à avoir dans les écoles de commerce » (Anne-Sophie Mercier, Charlie-Hebdo).

France Télécom: vers un nouveau «contrat social»?

Chronologie des événements et rappel des premières mesures annoncées suite à la vague de suicides chez l’opérateur. Nous les commenterons davantage dans un prochain article.

Le jeudi 10 septembre, s’est tenue une réunion exceptionnelle du CNSHSCT (Comité National Santé Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail) de France Télécom Orange sur les risques psycho-sociaux dans l’entreprise (communiqué).

Le PDG, Didier Lombard, a annoncé mandater la direction des ressources humaines du groupe « pour faire des propositions concrètes et précises pour répondre aux attentes des salariés ».

Rencontre Xavier Darcos - Didier Lombard
Rencontre Xavier Darcos - Didier Lombard

Il a notamment été décidé de suspendre jusqu’au 31 octobre « toutes les mobilités des personnes concernées par des projets de réorganisation afin de réexaminer les conditions de leur mise en œuvre », d’ouvrir, dès le 18 septembre, « une négociation avec les partenaires sociaux afin de décliner dans le Groupe France Télécom l’accord national interprofessionnel sur le stress ». Continue reading « France Télécom: vers un nouveau «contrat social»? »

Derrière le malaise à France Télécom, délocalisations et stress

Actu express: au journal télévisé de Public Sénat hier, sur l’épidémie de suicides à France Télécom, étaient interrogés en plateau Sébastien Crozier, élu CFE-CGC UNSA France Télécom Orange, et Patrick Légeron, psychiatre et coauteur d’un rapport sur le stress au travail (rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail) en mars 2008.

Derrière la situation actuelle, pointe Sébastien Crozier, la crise de confiance dans l’entreprise d’hommes et de femmes qui ont vu les délocalisations déferler alors que le secteur est florissant: chez l’opérateur, 30.000 emplois supprimés en cinq ans, et lorsque a été créé par deux syndicats l’Observatoire du stress, la première réaction de la direction de FT a été de bloquer l’accès à son site web pour les salariés de l’entreprise.


JT de 22 h du 14 septembre (les deux intervenants en plateau: à partir de 20 minutes).

Sur le blog

La litanie des suicides à France Télécom: à quand la remise en cause d’une politique toxique?

Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail. Par Philippe Nasse et Patrick Légeron

La litanie des suicides à France Télécom: à quand la remise en cause d’une politique toxique?

Une vingtaine de suicides en un an et demi, des arrêts maladie en hausse de 50% depuis cinq ans, +30% en un an de visites chez des médecins du travail, dont plusieurs ont démissionné devant leurs propres conditions de travail inacceptables…

Terrible série que ces suicides d’agents France Télécom égrenés jour après jour dans la presse: à Lannion fin août, à Besançon le 11 août, à Marseille le 13 juillet, où dans sa lettre d’adieu celui qui allait mettre fin à ses jours dénonçait «l’urgence permanente» et «la surcharge de travail». Sans parler des tentatives de suicide, plus nombreuses (12,5 fois plus de tentatives que d’actes réussis en France) et non médiatisées elles, à l’exception du geste spectaculaire d’un technicien de Troyes qui s’est poignardé le 9 septembre.

Une vingtaine de suicides depuis février 2008, et il aura fallu celui, sur son lieu de travail vendredi 11 septembre, d’une salariée à Paris, pour que les pouvoirs publics s’émeuvent des conséquences toxiques d’une politique de ressources humaines. Rappelons que dans notre pays, depuis quinze ans le suicide tue plus que l’accident automobile.

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Licenciements: quand la violence sociale amène des ripostes désespérées

La montée des licenciements, et surtout l’absence d’avenir social qui pèse sur les futurs licenciés, s’accompagne de plus en plus régulièrement de menaces de destruction – on n’en est cependant pas au degré de violence physique récemment observé en Chine, où un cadre a été lynché à mort par les ouvriers de l’usine sidérurgique auxquels il annonçait une vague de licenciements.

Bonbonnes de gaz
Bonbonnes de gaz

Image _boris (Flickr) sous licence CC by-nc-sa

Menaces de faire exploser une usine: la moitié des Français comprennent sans approuver

Le 31 juillet, les salariés de l’équipementier automobile New Fabris ont accepté la prime de départ de 12.000 euros qui leur était proposée, et ont abandonné leur menace de faire exploser leur entreprise, à Châtellerault (Vienne). Quelques jours plus tôt, leur stratégie « de la bonbonne de gaz » avait été reprise par des salariés de Nortel, à Châteaufort (Yvelines), qui y ont trouvé de guerre lasse le moyen de capter enfin l’attention des médias et du ministre de l’Industrie Christian Estrosi, alors que leur grève depuis le 6 juillet passait inaperçue.

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La mort de Michael Jackson, événement planétaire qui montre l’omniprésence des réseaux

Quelques jours après la mort brutale de Michael Jackson, alors que les futurs hommages et obsèques alimentent les supputations des médias, on ne peut que mesurer l’omniprésence des réseaux électroniques dans nos vies quotidiennes à travers l’incroyable impact qu’a eu l’événement.

Michael Jackson, statue de Jeff Koons lors de son exposition à Versailles
Michael Jackson, statue de Jeff Koons lors de son exposition à Versailles

Photo dalbera (Flickr) sous licence CC by

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