Cette mission, qui doit rendre en juin ses préconisations, a ouvert récemment un blog sur le sujet: il permet de voir et de commenter les vidéos d’auditions par la mission.
Rappelons qu’un forum sur le stress, «Réagir ensemble», a été créé par deux syndicats de France Télécom-Orange, et que comme pour l‘Observatoire du stress, son accès est censuré depuis les connexions Internet internes chez France Télécom.
France Télécom vient de présenter ses résultats 2009. On y remarque un chiffre d’affaires en baisse de 3,7 %, (à 45,94 milliards d’euros) et un résultat net également en baisse, avec un décalage criant entre deux chiffres (relevé dans un communiqué du syndicat CFE-CGC/Unsa de France Télécom-Orange – PDF):
la direction prévoit un dividende de 1,40 euro par action pour 2009, soit un versement de 3,65 milliards d’euros aux actionnaires. Cela alors que le résultat net part du groupe en données publiées est de 2,997 milliards contre 4,069 milliards en 2008 (-.26,3%).
Cette politique financière se fera donc au détriment soit de l’endettement, aggravé, soit de l’investissement. La CFE-CGC/UNSA demande au conseil d’administration et aux actionnaires la baisse immédiate du niveau des dividendes (à 0,5 euro au lieu de 1,40). Cette baisse permettrait une réduction des frais financiers de 150 millions d’euros par an. Soit le coût annuel de 3 000 emplois sauvés, tout en maintenant le même niveau de bénéfice.
A noter: si d’autres grandes entreprises comme BNP ou Axa augmentent leur dividende aux actionnaires, elles ont, elles, accru – et dans une plus grande proportion que leur dividende – leur bénéfice en 2009: BNP Paribas augmente son dividende de 50% et a presque doublé son bénéfice net, Axa accroît de 37,5% son dividende et a quadruplé son bénéfice net l’an dernier.
Revue de presse: dans Les Echos de vendredi dernier (12 février), un article titré « Les équipementiers occidentaux vent debout contre les chinois » (article payant) annonce qu' »une nouvelle réglementation chinoise protectionniste pourrait nuire à Ericsson, Nokia Siemens Networks et Alcatel-Lucent. Ces derniers demandent aux pouvoirs publics européens de leur permettre de jouer ‘à égalité’. »
Alors que des équipementiers chinois remportent des contrats en Europe, comme Huawei, sélectionné fin 2009 « par SFR et Bouygues Telecom pour étendre leur couverture 3G, et par Telenor et Tele2 en Suède, en 4G », une nouvelle réglementation chinoise, dévoilée en novembre, « crée un catalogue de produits informatiques et de télécommunications que l’administration est autorisée à acheter. Seuls y sont admis les équipements dont les marques et brevets ont été déposés initialement en Chine et sont détenus par une entité chinoise. »
« ‘Il faudrait que nous puissions jouer avec les mêmes règles pour tout le monde’, a expliqué hier Rajeev Suri, le patron de NSN. Il n’envisage pas de porter plainte, mais soutient la pétition envoyée au début de l’année par la Fédération européenne des métallurgistes et les comités d’entreprise européens de fournisseurs de matériel téléphonique: ‘La Commission européenne devrait soutenir l’existence d’une R&D européenne. Nous n’aimerions pas devoir restructurer en Europe pour créer des centres de R&D « low cost » ailleurs’, a-t-il menacé. »
« Corriger les conditions dissymétriques de marché »
Les Echos observent que « dans leur pétition, les syndicalistes mettent le doigt sur les questions qui fâchent. L’année dernière, Alcatel-Lucent a supprimé 3.000 emplois en Europe; Ericsson 950; NSN de 5.000 à 6.000 dans le monde. Alors même que Huawei n’a pas encore réussi à pénétrer aux Etats-Unis (sa tentative de rachat de 3Com avait été bloquée au plus haut niveau), ils jugent le Vieux Continent démuni: ‘L’Europe est le seul marché de télécoms ouvert dans le monde. […] De plus le gouvernement chinois soutient ses champions nationaux par la mise en oeuvre de normes techniques et grâce au pouvoir d’achat des opérateurs contrôlés par l’Etat.’
(…) Ils demandent donc que les 18 millions d’euros alloués fin 2009 à la R&D dans le haut débit mobile aillent en priorité aux entreprises qui recrutent en Europe. Ils réclament des normes européennes sur le haut débit sans fil, la télévision sur mobile ou les technologies du Web 2.0, et un objectif de couverture haut débit de l’Union à 100%. Bruxelles doit instaurer des règles permettant de «corriger les conditions dissymétriques de marché quand les lois internationales ne s’appliquent pas», par exemple le droit du travail. Dans une Europe qui n’a rien d’une forteresse, seule la ‘vertu’ sociale et écologique pourra servir de rempart aux industriels. »
Actu express: Le Nouvel Obs, tout comme nous, se demande si c’est de l’humour… de parfait mauvais goût au demeurant :
Ce n’est pas une blague. France Télécom a reçu en 2009 un prix récompensant les entreprises «qui proposent à leurs salariés les meilleures pratiques RH, leur permettant de s’épanouir personnellement et professionnellement au travail». Elle faisait partie des 20 lauréats 2009 du palmarès Top Employeurs France décerné par un cabinet néerlandais, l’Institut CRF A la rubrique «conditions de travail», l’entreprise, plutôt citée ces temps-ci pour les suicides de ses salariés, a même obtenu cinq étoiles ! C’est ce que rapportait le mensuel «Liaisons sociales» en décembre dernier relatant la frénésie d’autoglorification des entreprises en matière sociale.
Revue de presse: Le Parisien de jeudi consacrait sa Une et deux autres pages à la pratique courante du cumul des mandats, et parfois des postes, parmi les dirigeants des grandes entreprises françaises. Ce dossier né de l’affaire Proglio à EDF et Veolia cite Daniel Lebègue, président de l’Institut français des administrateurs (IFA): «Cent personnes concentrent dans leurs mains plus de 40% du total des mandats des conseils d’administration des principales entreprises françaises.»
La Une du Parisien du 28 janvier 2010
Daniel Lebègue relève que cette concentration n’existe plus ailleurs dans le monde. Il cite entre autres les responsables de General Electric, qui ont reçu pour consigne de n’accepter aucun autre mandat externe. Le cumul pose un problème d’efficacité, relève Le Parisien:
« Un administrateur investi doit consacrer trois jours par mois à son mandat, estime l’IFA (un mois et demi de travail par an). «Comment celui qui dirige une entreprise de 80.000 salariés, qui a les responsabilités d’une dizaine de filiales, peut-il passer deux, quatre, dix jours par mois à travailler pour une autre société?», interroge Daniel Lebègue.
Se pose aussi la question de la « bonne gouvernance ». Elle exige qu’une majorité d’administrateurs soit indépendant vis-à-vis de la société. L’administrateur doit prendre des décisions au nom du seul intérêt social de l’entreprise », relève le responsable de l’IFA, ce qui n’est pas forcément le cas lorsque les administrateurs se recrutent entre eux. »
Autre conséquence de cette consanguinité, qui est une «catastrophe», pour Pierre-Henry Leroy, fondateur du cabinet Proxinvest, ces dirigeants issus des mêmes écoles et fréquentant les mêmes cercles «sont complètement déconnectés de la réalité. Résultat : ils n’ont même pas vu venir la crise financière.»
L’exemple de Didier Lombard
Le Parisien consacre plusieurs encadrés à différents cas de dirigeants cumulards. Dont celui de Didier Lombard, qui outre son poste de PDG de France Télécom siège au conseil d’administration et au conseil stratégique de Thales, est administrateur et président du comité de gouvernance et de nominations de Thomson (devenu maintenant Technicolor), et siège aux conseils de surveillance de ST Microelectronics et de Radiall.
Le quotidien indique que sa rémunération en 2009 a été de 1,655 million d’euros (900.000 € de fixe, 750.210 € de rémunération variable et 3.885 € de rémunération en nature). « Chez Thales, il a perçu 29.000 € en jetons de présence en 2008, et 33.938 € de jetons de présence chez Thomson. Au conseil de surveillance de ST Microelectronics, il a touché 98.250 € de jetons de présence en 2008. Et 7.000 € de jetons de présence chez Radiall. » Son commentaire au Parisien: « Didier Lombard explique qu’il se ‘consacre à 100% à son entreprise’. Ses autres activités sont réservées aux ‘week-ends et aux jours fériés’. »
Sur le site Miroir Social, Sébastien Crozier vient de publier un article. En voici le début:
« En avril 2009, Ernst & Young auditait les Centres d’Appels de France Télécom et l’ALRS (Association pour la promotion et le développement du Label Responsabilité Sociale).
La crise sociale à France Télécom est loin d’être terminée. En dépit de la communication de l’entreprise, les négociations sur le stress et les conditions de travail piétinent, ne débouchant au mieux que sur une tardive mise en conformité des pratiques de l’entreprise avec le droit du travail. Les personnels sont toujours dans l’attente de mesures fortes, répondant à leur désarroi en éradiquant les méthodes managériales déficientes, dénoncées par l’audit Technologia et les inspecteurs du travail.
Pendant ce temps, France Télécom et ses principaux dirigeants continuent imperturbablement d’être récompensés par des prix, labels et nominations plus incongrus les uns que les autres. Grand guignol ou camouflet pour les salariés qui souffrent ?
Petit rappel historique (…)
Dans La Tribune de ce jour, Jean-Marc Le Gall, professeur associé au Celsa et conseil en stratégies sociales, fait quelques constats que la CFE-CGC/UNSA a mis en évidence depuis de (trop) longs mois. Extraits :
« Le groupe s’engage à agir en permanence comme un employeur responsable », peut-on lire dans le Rapport responsabilité d’entreprise et développement durable 2008 de France Télécom-Orange publié en juin dernier. Engagement attendu dans un tel rapport, puisque la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est l’intégration volontaire par l’entreprise de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes, dont font partie ses salariés. Pourtant, confronté à la dramatique actualité sociale de cette entreprise, il est difficile de prendre cet engagement au sérieux.
Risquons une hypothèse : si le bilan économique du président de France Télécom était aussi mauvais que son bilan social, il aurait quitté l’entreprise comme Michel Bon en 2002, ou il aurait été remercié par son actionnaire principal. Sans aucun doute, il y a encore loin de la responsabilité économique à la responsabilité sociale. Des dirigeants d’entreprise s’efforcent pourtant de rapprocher ces deux dimensions, comme Frank Riboud qui a décidé que le bonus des dirigeants de Danone devait porter pour moitié à la fois sur des réalisations tenant à cette RSE et sur les résultats économiques. Responsabilité oblige.
L’article mentionne également le livre d’Yvan du Roy, Orange Stressé, et nous ne pouvons qu’adhérer à l’analyse de Monsieur Le Gall.
En tant que salariés de l’entreprise et en tant que syndicalistes, nous espérons que les réalités enfin dévoilées, et surtout prises au sérieux par une part de plus en plus large de la société française, vont conduire à de réels changements dans le pilotage des entreprises. Pour une fois, il n’est pas exagéré de dire que c’est… vital!
Alors que de nombreux médias, et de nombreux français, s’interrogent sur la vague de suicides chez France Télécom, se demandant « comment on a pu en arriver là », on entend ça et là une remise en question des syndicats, qui « n’auraient pas été présents » pour accompagner les salariés et éviter la dégradation dramatique des conditions de travail dans l’entreprise.
Un mécanisme pervers articulé en trois temps
L’examen approfondi de la situation met en évidence une réalité beaucoup plus grave. Les méthodes de gestion de l’entreprise, entièrement calées sur une « culture du chiffre », où l’on ne s’intéresse plus qu’aux cours de bourse et aux indicateurs qui permettront de satisfaire l’exigence, exorbitante, des marchés financiers, a totalement mis de côté le facteur humain. L’idéologie du capitalisme financier semble avoir trouvé au sein de France Télécom un lieu de mise en application de ses fantasmes les plus fous. Sébastien Crozier l’exprime dans une récente interview à itexpresso : «A l’instar de Serge Tchuruk, ex-P-DG d’Alcatel, qui voulait faire une entreprise sans usines, la direction de France Télécom veut faire d’Orange une marque sans salariés ».
Il s’agit donc de marginaliser la parole des personnels en appliquant une politique de déni, qui évacue les alertes syndicales, neutralise les médecins du travail, et supprime les ressources humaines de proximité.
Les événements de l’été 2009, et en particulier des suicides sur le lieu de travail, ont mis en évidence aux yeux de tous la vraie nature de la tragique situation sociale qui prévaut à France Télécom SA.
L’absence de dialogue social, dénoncée depuis plusieurs années par la CFE-CGC, est désormais admise par plusieurs organisations syndicales, relayée par la Presse et confirmée par le Ministre du Travail :
En ne consultant pas (ou insuffisamment) et en n’informant pas (ou insuffisamment) les CHSCT préalablement à toute décision portant sur la prévention des risques professionnels et sur l’amélioration des conditions de travail, l’entreprise ne respecte ni les dispositions du code du travail (ses art L 4611-1 à L 4614-16) ni celles de la Convention Collective Nationale des Télécommunications.
L’employeur n’assure pas à ses personnels des conditions d’hygiène, de sécurité et de travail satisfaisantes et conformes aux exigences du code du travail (ses art L 1151-1 à L 1152-6 et L 4121-1 à L 4121-5 notamment) et de la Convention Collective Nationale des Télécommunications.
L’employeur ne respecte pas les dispositions conventionnelles relatives au stress au travail (ANI du 2 juillet 2008 et Convention Collective Nationale des Télécommunications).
L’employeur ne respecte pas les droits garantis aux comités d’établissements par le code du travail en matière d’information et de consultation sur les problemes généraux concernant les conditions de travail (son art L 2323-27).
L’employeur refuse de négocier loyalement les dispositions collectives applicables aux personnels et destinées à prendre en compte les conséquences sociales des réorganisations de l’entreprise (la GPEC par exemple).